Error System : Karma. Incarnation 1
Des point’n click, j’en ai bouffé depuis de nombreuses années, passant du pixélisé à la 3D ou au fait à la main, du narratif ciselé à un narratif abstrait ou environnemental, voire carrément cryptique. J’irai même jusqu’à dire que les jeux d’histoires interactives à la Telltale, y compris les fumeux et décriés (… à raison) simulateurs de marche, n’en sont que des dérivés réduisant le gameplay à peau de chagrin. De ce point de vue-là, les développeurs ont beaucoup tenté, sans forcément faire mouche systématiquement. Le jeu qui nous intéresse aujourd’hui, Karma. Incarnation 1, développé par AuraLab, fait partie, au même titre que Botanicula, de la niche de point’n click misant quasiment tout sur l’artistique en 2D. Est-ce malgré tout suffisant ? C’est ce que nous allons voir ensemble. C’est parti !
Le pitch de l’histoire est assez simple : vous êtes un esprit, rose et mignon tout plein, qui a été absorbé par un esprit noir et maléfique. Pour le poutrer comme il se doit, il faudrait vous réincarner en gros dragon badass. Pas de bol, lorsque l’on prend les commandes de notre avatar, il n’est alors qu’une sorte de petit bulbe noir et gélatineux. Vous l’aurez compris, s’ensuivra alors un voyage initiatique afin de sauver le monde, pas moins. Voyez : pas un neurone n’aura choppé de crampe à l’énoncé de l’histoire. C’est cliché au possible, et si l’on ne devait considérer que son scénario, j’aurais même tendance à dire qu’il est un peu gnan-gnan. Pourtant, lorsqu’on y associe la narration et les visuels, le cocktail tient à peu près la route. J’y faisais référence dans l’introduction : le style de narration fait grandement penser à Botanicula, même s’il n’en atteint clairement pas le niveau d’excellence. Tous les dialogues se font dans une langue étrangère incompréhensible, traduit pour le joueur sous forme de bulles imagées, contenant des icônes, animées ou non.
Tous les personnages rencontrés sont également expressifs dans leurs animations, et la compréhension s’en trouve ainsi fluidifiée. Néanmoins, j’ai toujours eu un peu de mal à différencier le rôle et la personnalité de chacun, ne sachant pas toujours trouver pourquoi tel personnage se trouve-là, voire même à constater qu’un PNJ n’a cure de ce qui l’entoure. Les visuels aident beaucoup également dans l’immersion, voire sont le principal intérêt de ce jeu. Les couleurs sont plutôt vives avec un rendu plutôt psychédélique, alternant les tons de rouge-orangé, au vert, ou encore au pourpre, en passant par des phases totalement funky. Chaque scène dispose de sa propre atmosphère et résume avec brio l’humeur qui s’en dégage. Tous les personnages, même ceux qui font office de méchants, sont très attachants, aussi bien par leurs looks que leurs animations. Cela ressemble à quelque chose sortant des sentiers battus, donnant une impression de bizarrerie, tout en étant attractif. Pour vous donner une comparaison, je dirai que j’ai eu à peu près les mêmes impressions sur des films de Tim Burton.
Côté gameplay, le jeu est parsemé de puzzles qui n’en portent que le nom. Comme souvent dans ce genre d’expériences, et d’autant plus pour un joueur aguerri aux point’n click, on a souvent l’impression que toutes les énigmes ont été intégrées dans l’unique but d’utiliser l’appellation de « jeu vidéo » . Pour être plus clair : à aucun moment je n’ai buté dans l’avancement, car tout y est (trop) simple. Une tendance qui semble toucher de plus en plus de jeux, et c’est quelque chose que je déplore tant l’on s’éloigne de ce qui fait l’essence même d’un jeu vidéo. A noter tout de même que les interactions n’ont pas toutes vocation à être utiles pour leur résolution, et amèneront bien souvent un sourire amusé face à l’animation qui en a résulté. Pourtant, et comme le suggère le titre de ce jeu, les développeurs ont intégré la notion de « karma » dans le gameplay. Là où la plupart des point’n click vont vous proposer une seule résolution pour un problème, Karma : Incarnation va en proposer une deuxième, subdivisant la solution en une bonne et une mauvaise, moralement parlant. Chaque choix va incrémenter un compteur, et cela aura in fine des conséquences mineures sur le déroulé de l’histoire, ainsi que les interactions avec tous les autres personnages. Malheureusement, le concept est largement sous-exploité dans ce premier opus.
Enfin, intégrant le fait que vous incarnez un esprit, la dernière mécanique de gameplay est le changement de phase entre monde normal et monde astral. L’environnement devient alors totalement psychédélique à travers des couleurs et formes très funky. D’autres interactions deviennent alors possibles. Cela suit la même veine que quelques autres jeux du genre, tel que The Silent Age, qui, même s’ils ne proposent pas une foultitude de tableaux, nous les soumet sous deux formes différentes. Feature sympathique, mais qui ne m’a vraiment pas donné l’impression d’avoir été pleinement exploité. Tout comme le moins en moins de gameplay, le plus en plus d’épisodique semble être devenu une norme, ce qui est le cas pour ce jeu au titre évocateur sur cet aspect. Probablement source suffisante de rentrées pécuniaires, mais c’est définitivement à double-tranchant ; le succès dépend, d’une part, de l’intervalle de temps nécessaire au développement d’un deuxième épisode, mais également de la réception du premier opus par la communauté de joueurs. Sachant que l’on s’adresse déjà à un public de niche, j’émets déjà quelques premiers doutes vis-à-vis de la viabilité du bousin.
A la question, « la direction artistique peut-elle pallier au manque de mécaniques de gameplay ? » , je répondrai : non, définitivement. Non, car l’on se sent presque dans un film d’animation dans lequel on vous forcerait à cliquer afin de justifier son appellation de jeu vidéo. Par ailleurs, le choix de proposer un point’n click ne disposant pas d’un narratif fort ne suscite clairement pas de l’attente pour un deuxième opus, d’autant plus sans twist final pour relancer l’intérêt, même de manière complètement artificielle ; selon moi, ce n’est clairement pas le genre de jeu qui s’adapte correctement au format épisodique. J’aurais tendance à dire qu’un des seuls ayant réussi son coup à ce niveau-là est, à ma connaissance, le dernier-né de la saga King’s Quest. En effet, contrairement à Karma. Incarnation 1, il dispose d’un narratif solide et engageant. Alors oui, le jeu est agréable, mais il apparaît comme… secondaire. Et lorsque le premier épisode d’une trilogie ne suscite pas d’intérêt ni d’attente à un stade précoce, alors il est simplement voué à l’oubli, d’autant plus lorsqu’on a simplement eu l’impression de jouer à… une démo.
Histoire d’enfoncer un peu plus le clou, si vous allez sur la page du store Steam, la description du jeu commence ainsi : « Ce jeu d’aventure gagnant de nombreuses récompenses […] » . Lorsqu’on fouille un peu, il s’avère qu’il collectionne effectivement des récompenses à ne plus savoir quoi en faire : meilleurs graphismes, meilleure bande-son, meilleure narration, meilleur game design, meilleure jeu prometteur, choix des critiques, meilleur jeu Unity, etc… Sans déconner, si on aligne tout cela, on a l’impression d’être face à la putain de tuerie du siècle, alors que ces fameux prix, après quelques rapides recherches, ont finalement été distribués en pre-release (… à la manière d’un Dishonored 2 raflant la moitié des prix aux Ping Awards 2016, alors qu’il n’était pas encore en vente). Alors ouais, il n’est pas vendu cher, mais pour le peu de sentiment d’accomplissement que j’ai ressenti, j’aurais largement pu me passer de cette expérience. Quant aux avis dithyrambiques que j’ai pu lire sur Steam, chers amis joueurs, laissez-moi vous dire qu’il faudrait que vous vous achetiez… un putain de sens critique ! Amen.