The Order : 1886
– Attends… t’as acheté The Order ?
– Ouais.
– Non mais vraiment, sérieusement, entre nous, je veux dire, tu as acheté The Order ?
– Ouais.
– Tu aurais pu garder ton fric pour te payer… je sais pas, attendre et te prendre Nier Automata, Horizon Zero Dawn, Ni Oh, ou même Until Dawn, et tu as acheté The Order ?
– Ouais.
– Excellent ! T’es un mec formidable Marcheur, t’arrive à faire cette blague de merde avec l’air le plus sérieux du monde ! Comment tu fais ?
– Non mais… j’ai acheté The Order, je l’ai fini.
– Ah mais ce con… attends, tu l’as vraiment acheté ? Tu l’as fini ? Alors raconte, c’était comment ? C’est plutôt un jeu honteux ou un film de merde ?
– Bah, c’est plutôt un jeu honteux et un film correct en réalité. Sur l’échelle de Final Fantasy XV Kingsglaive, c’est un cran au-dessus.
– Et sur l’échelle de Final Fantasy XV ?
– Quel rapport ? Non honnêtement c’est pas terrible, mais c’est pas une expérience déplaisante à bas prix.
– Tu as choppé le syndrome de Stockholm en t’infligeant le bousin ? Attends je te trouve un peu pâlot. T’es sûr que ça va ? Est-ce que tu réfléchis en QTE maintenant ?
– Putain, me fait pas dire ce que je n’ai pas dit, The Order mérite ce qu’il a pris sur la tronche, mais c’est pas pour autant qu’il ne mérite pas qu’on y jette un œil !
– Mais pour quelle raison ?
– LES MOUSTACHES ! LES PUTAINS DE ROUFLAQUETTES, MEC ! LES ROUFLAQUETTES !!!
Nous sommes en 1886, les jeux vidéo n’existent pas encore, les uchronies pas forcément non plus… sauf si vous considérez qu’une histoire reposant sur beaucoup d’interprétations est une uchronie en soit, ce qui rend caduque la notion d’histoire en tant que science, et donc la notion d’uchronie ; en voilà une critique qui commence bien ! Dans ce Londres alternatif, les armes et la technologie avancées côtoient des bâtisses Victoriennes et les styles vestimentaires et pilaires de l’époque. Dans The Order : 1886, tout ce qui est un homme et qui veut être digne de son genre, se doit d’arborer fièrement au choix : 1- la moustache qui fait de toi le héros de l’histoire, 2- La barbe qui fait de toi le mentor, 3- Les putains de rouflaquettes qui cristallisent tes attentes vis-à-vis de leur porteur. Mais, il n’y a pas que les poils dans la vie ; même si ici les cheveux et les poils sont superbes, on remarque aussi qu’à peu près tout l’est.
Oui, The Order : 1886 n’est pas beau. Il te viole la rétine, c’est une putain de roquette qui te défonce le crâne, c’est une claque esthétique. Après avoir lancé The Order, on retourne sur Ryse : Son Of Rome en y trouvant une somme colossale d’imperfections techniques. Au point où en est le jeu de Ready At Dawn ici-présent, la recherche du photoréaliste devient tout à fait stupide, car pour une des rares fois où je peux l’écrire : tu joues à The Order, tu sors de chez toi, tu as l’impression que le monde est mal modélisé. Tout est sublime, effets volumétriques inclus, les éclairages sont fantastiques, les animations criantes de vérité, les modélisations effrayantes de réalisme… The Order n’a pas besoin de réalité virtuelle pour que l’on croit pouvoir toucher ce qu’il représente.
Et ce n’est pas que de la technique, The Order : 1886, c’est aussi des bandes noires cinématographiques qui apportent un charme pas possible à l’image, te donnant l’impression d’être plongé dans un film, certes très long, mais soigné de bout en bout. C’est aussi un grain sur l’image qui apporte beaucoup à un visuel qui ne se contente pas d’être bêtement photo-réaliste. Une belle victoire d’esthétisme où les imperfections sont si peu nombreuses qu’on les remarque tel un possédé en hurlant « Ahah ! Je t’ai eu ! T’es encore un jeu vidéo ! » . Sauf qu’on en est au point où les soucis de collisions, les textures manquantes et autres problèmes caractéristiques du jeu vidéo sont parfois complètement absents, et l’on suit le « jeu » comme un film en images de synthèse. Oui carrément.
Parce que c’est bien marrant de s’écrier « Oh lol, c’est un film ! » , sauf que la VF est excellente, excepté quelques errements de traduction ou fantaisies d’écriture : « Où est cette femme indienne ? » ou encore « Du calme mec » ne sont que des phrases stupides, d’ores et déjà personnellement cultes. Un anachronisme langagier pour un travail excellent opéré par les comédiens de doublage. De plus, pour accompagner un casting vocal qui pète la classe, on peut signaler une synchronisation labiale qu’on ne met pas en échec tout le long du titre. Même certains blockbusters ont des ratés. The Order : 1886 est ultra-carré là dessus aussi. Je ne parle pas des bruitages qui sont tous percutants et très soignés, ni même des musiques composées par Jason Grave, qui a fait un superbe travail pour coller à l’ambiance du titre. J’ai rarement entendu composition plus à propos dans un jeu vidéo, et ça c’est un plaisir fou pour les oreilles, d’autant que le mixage sonore rend honneur à l’ensemble du secteur audio ; musiques, bruitages, doublages. Tout est carré. C’est au poil de cul. C’est brillant.
Alors oui, certes, on peut lui reprocher une mise en scène sans grande folie se contentant de suivre efficacement les protagonistes. Certes, le scénario n’apporte pas grand chose, ni à l’histoire du cinéma, ni à l’histoire du jeu vidéo, et on est rarement surpris par quelque péripétie que ce soit. C’est ronflant, oui, mais ça marche très bien. L’histoire est bien amenée, et surtout, la narration est brillante en portant du mieux qu’elle peut un récit qui ne surprend pas, mais proposant quelques séquences magnifiques. Dommage que tout ces superlatifs se réservent presque uniquement aux cinématiques du jeu, dont la transition avec les phases jouables se fait avec un naturel inquiétant, car dès que le jeu passe en mode « temps réel » en proposant plus de narration environnementale et de « liberté » au joueur… c’est plus compliqué.
Le début du jeu est un bel indicateur. Après de nombreuses cinématiques très longues parsemées de QTE très… QTEsques, le titre propose des phases de marche dans les (… superbes) rues de Londres, où l’on découvre que notre personnage n’a pas de reflet dans le miroir (… serait-ce un vampire ? Ah non, juste une limite du moteur du jeu), et surtout que des personnages discutant là du contexte pour une fois sans nous infliger une cinématique… vont littéralement répéter le même dialogue à la fin de celui-ci. Cool. Super. Sinon, tous les PNJ placés ici et là auront le plaisir de ne rien faire d’autre que de rester sur place et tenir leur rôle de poteau.
C’est ce qui est rageant. L’univers a un potentiel monstrueux. Tout a un potentiel monstrueux, mais The Order : 1886 s’en tient à son script de film, parce qu’il est un film. Il se déroule comme un film, se rythme en tant que tel, se renouvelle aussi comme ce média. Jamais il n’assume pleinement son statut de jeu vidéo, et nombreuses sont les séquences où le gameplay semble infliger au produit. Il y a même des séquences qui se résument à pousser le joystick en avant, regardant littéralement où l’histoire va nous conduire. Les phases de gameplay, notamment celles d’aventure, rappellent tristement les pires heures des jeux Telltale, les phases de plateforme évoquent largement celle d’un Uncharted, et les gunfight (… pas si mauvais au demeurant) restent le seul moment où ludiquement le jeu ne se plante pas complètement.
Il y a dans le titre seize chapitres, mais certains ne sont en fait qu’une longue cinématique où l’on ne touche pas la manette pendant une bonne dizaine de minutes. Même pas de QTE. Un film. C’est un putain de film qui se coupe lui-même dans son élan à de nombreuses occasions pour laisser le joueur faire un ou deux trucs balisés histoire de faire « semblant que » à un moment où à un autre on incarne le personnage de Galahad. Le problème avec The Order, c’est que ce ne sont pas les cinématiques qui hachent le gameplay, c’est le gameplay qui hache le film. Alors, on aimerait parfois vraiment bien, dans les séquences les plus insupportables, lâcher la manette pendant les moments de QTE, et libérer le récit de son plus lourd fardeau.
The Order : 1886, aurait gagné à ne proposer aux joueurs que ses phases de cover shooting, classiques, certes, mais efficaces avec un ressenti des armes et des dégâts assez intéressants, pour laisser le reste à un déroulement cinématographique non-entaché de longues transitions où l’on marche en ne foutant rien d’autre. Il aurait pu virer ses QTE honteux, virer ses phases d’exploration qui ne sont en fait qu’un moyen de laisser le joueur profiter des modélisations soigneusement réalisées par les développeurs pour laisser le récit sans accroc. Là, The Order : 1886 aurait eu tout d’une expérience intéressante. Un film qui présente des enjeux de manière cinématographique, tout en proposant une implication réelle du spectateur dans le récit par le biais de gunfight réussis. Pourquoi avoir parsemé la chose de tant de clichés stupides du jeu vidéo ? Parce que c’est juste chiant, en fait.
Pour ce qui est des combats, honnêtement, c’est pas trop mal. Les armes ont des comportements assez variés et ont un ressenti solide manette en main. Les ennemis ne sont pas trop des quiches, même s’ils laissent dépasser la tête de leur couverture (… la cueillette au tir dans la tête est ouverte !). Par contre, un ennemi est particulièrement lourdingue. Cet ennemi, c’est celui qui tient le fusil à pompe et fonce vers toi en t’allumant comme un fou furieux, alors que toi tu es en mode « Messire, veuillez vous battre à la loyale, moi je dois recharg… » et t’es mort. Le mec avec le fusil à pompe est le plus dangereux de vos adversaires, et de très loin, croyez-moi.
Toutes ces phases que le joueur subit ternissent complètement le jeu. Pour le peu qui fonctionnent, la grande majorité est affligeante et laisse n’importe quel joueur un minimum impliqué pantois, comme cette phase où le jeu te donne pour conseil d’aller actionner le seul élément interactif de la pièce pour faire progresser l’histoire. Sérieusement, que voulais-tu que je fasse d’autre ? The Order : 1886 n’est pas un bon jeu vidéo. Ce n’en est d’ailleurs pas un ; ses mécaniques de gameplay sont loin d’être assez nombreuses, il tient plus du récit parsemé de phases jouables pour impliquer le joueur. L’ennui étant que son récit est sclérosé de clichés qui n’ont rien à foutre là.
On ressent une vraie gêne des développeurs lorsqu’ils mettent un QTE au milieu d’une cinématique de dix minutes, histoire de dire « Eh eh, on pense à toi ! T’es réveillé ? » . Oui, en effet, je suis réveillé ; tu racontes bien ton histoire, pourquoi tu t’arrêtes ? Le titre n’est jamais aussi bon que quand il propose du gunfight pur, où on est libre de courir, changer d’arme, changer de couvert, attaquer au corps-à-corps, et il est aussi bon quand il se contente de délivrer une cinématique sans coupures. Il devient par contre hautement méprisable dans ses horribles séquences « narratives interactives » où l’on est forcé d’avancer en marchant, contraint d’écouter un personnage dérouler son monologue bien doublé, dans lequel on se sent désespérément pris pour un trou du cul réduit à l’état de robot à peine bon à pousser vers l’avant un joystick.
C’est ce que vous vouliez Ready At Dawn ? Franchement, je vais vous dire un truc que vous n’avez certainement pas dû entendre à la réception de votre jeu : vous valez mieux que ce qu’on a dit de vous. J’irais même plus loin en disant que The Order : 1886 vaut plus que ce qu’on en a dit. Vous seriez allé au fond de votre trip cinématographique parsemé de phases de jeu de shoot que j’aurais eu beaucoup plus de respect pour vous. Pourquoi avoir infligé cela à votre expérience juste assez longue (… 5 à 7 heures) pour être pleinement satisfaisante ? Un deuxième jet plus interactif, réfléchi, et abouti, aurait pu donner naissance à un shooter, certes pas forcément merveilleux, mais racontant une histoire agréable.
Pourquoi avoir pris autant les joueurs pour des imbéciles avec des phases « d’enquêtes » hilarantes, des phases de marche aliénante, et des QTE infligés régulièrement de manière irritante (… bon celui-là c’était pour rimer, mais remarquez les allitérations et assonances ! Ah si, je suis pas peu fier de moi ; j’ai fait presque trois-quart d’un quatrain bien médiocre là !). Toutefois, The Order : 1886, c’est surtout le plaisir d’un jeu sublime, bourré de séquences fantastiquement belles et marquantes, qui restera un maître étalon de l’esthétique du jeu vidéo. Qu’on aime ou pas le photoréalisme, The Order a de la gueule et personne ne lui arrive à la cheville, excepté Ryse : Son Of Rome. Un putain d’exploit, même s’il ne vaut pas grand chose par rapport au reste.
Curieuse expérience. Pour le peu qu’il m’a coûté, je dirais que The Order : 1886 est un pari risqué pour le joueur. Si ce que je vous ai décrit ne vous effraie pas, alors vous pouvez tenter cette expérience contemplative formant un pont entre deux média, sans jamais parfaitement réussir dans l’un comme dans l’autre. Les mauvaises langues diront qu’il en est de même pour Quantum Break, mais ces gens n’y ont forcément pas joué, ni au titre de Remedy, ni à celui de Ready At dawn pour se permettre la comparaison. Je ne vous le conseille pas, certes, mais je n’oserais vous le déconseiller, car même si c’était assez coupable, j’ai pris par moment du plaisir sur The Order : 1886, ce qui est déjà bien plus qu’un… oh je sais pas moi, un Uncharted ?
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