Rime
« J’aurais aimé être Chris Avellone » , dit Marcheur. « J’aurais aimé être un jeu Ueda » , répond Rime. On aurait pu résumer la réflexion du jour à cette phrase face à ce titre, où Rime a mis en avant ce qui m’a toujours posé problème dans mon écriture personnelle. J’aurais aimé être ce que j’admire. Je pense qu’on le désire tous. L’ennui, c’est le jour où l’on commence à vouloir émuler, et que l’on fini par prétendre avoir créé un truc. C’est le fameux moment où je peux caser cette phrase qui me trotte dans la tête depuis un moment : « Le but d’un jeu inspiré c’est d’être inspirant » . Sauf que lorsque Rime se prétend de Ueda ou ThatGameCompany, il a bien du mal à être l’égal de son modèle, et c’est uniquement quand il s’en éloigne qu’il est meilleur. Je vais faire mon divulgâcheur (… putain, je l’ai casé !) : c’est pas souvent le cas.
Rime. Rime, mon ami, pourquoi es-tu si fan ? Il y a beaucoup de toi en moi, et vice-versa. Tu es de ces jeux que je trouve passablement médiocres, mais aussi tout autant importants de voir sortir. Certains loueront que tu es plus praticable que les jeux d’Ueda, car tu te parcoures plus agréablement en purs termes systémiques, mais es-tu ne serait-ce que la moitié d’un jeu Ueda en termes d’impact ? Non. Tu resteras celui qui a cru faire comme, mais qui a fait de la copie. Comment peut-on être autant différent, tout en étant strictement la même chose ?
Là où un John Johanas a permis de reprendre une formule à l’identique pour en faire un jeu très différent avec The Evil Within II, ou qu’un ThatGameCompany qui a capturé le ressenti des jeux de la Team Ico pour créer une nouvelle formule, toi, tout ce que tu trouves à faire, c’est d’être un jeu qui idéalise trop ses références pour se différencier. Ah, Rime. Tu pourrais être un cas d’école de ce qu’il faut faire pour se faire sentir aimant, mais tout ce qu’il ne faut pas faire pour être aimé.
Pourtant, j’apprécie Rime. C’est juste que vu tout ce à quoi j’ai pensé en y jouant, je n’ai jamais réussi à me dire que je jouais à quelque chose de vraiment neuf plus de dix minutes d’affilée. C’était toujours « Ah bordel, une référence à Ico ; Oh, un emprunt à Shadow Of The Colossus ; Bordel, mais c’est le héros de Journey ! Eh, mais cette atmosphère, c’est clairement Le Voyage De Chihiro ! » ect… L’ennui c’est lorsqu’on devient juste une synthèse de références, on fini par avoir bien du mal à être plus que cela. Rime parvient pourtant (parfois) à faire deux-trois choses qui font qu’on se dit « Hum… Ça c’est Rime, donc ? » . Néanmoins, ce qu’il fait de différent de ces plus évidentes références sont devenus des codes des jeux du genre aventure / action.
Donc, on joue à ce jeu d’aventure, ce conte en troisième personne avec la claire impression de se prêter à un voyage dans l’esprit d’un fan. Un fan dont on connaît absolument toutes les références et dont le talent à les digérer et en faire un produit qui paraît cohérent est tout à fait remarquable. Toutefois, une fois faite la somme de l’ensemble, difficile d’y voir quelque chose de frais ou de neuf. Et pourquoi est-ce que l’on joue à un jeu de ce genre de niche ? Pour sa fraîcheur ? Où est la fraîcheur dans un jeu comme Rime ? Un jeu qui tire tout son sel de choses auxquelles on a déjà joué, si l’on a de la sympathie pour monsieur Ueda ou l’équipe derrière Journey ? Eh bien le fait est que, paradoxalement… la fraîcheur est quand même là.
Contrairement à un Abzu qui ne parvient jamais à être autre chose que « Journey divisé par trois dans les profondeurs marines » , Rime est un jeu qui va chercher partout là où il est possible de trouver quelque chose dans ce genre de jeu. Et comme il prend de partout, eh bien il finit par trouver une grammaire qui diffère légèrement. Une belle gestion du rythme, une grande variété dans des énigmes simplissimes, et une vraie réussite esthétique finissant par en faire un jeu encyclopédique, qui donnera probablement envie au néophyte d’aller voir ce vers quoi il s’est inspiré pour enrichir sa culture vidéoludique.
Et c’est là où Rime arrive sans doute le mieux à faire quelque chose : donner envie de. Sans inspirer qui que ce soit, le jeu de Tequila Works parvient tout de même à donner le goût à la curiosité, car il m’a, à chaque fois, donné envie de me replonger dans les jeux dont il s’inspire. Alors, si j’ai eu envie d’y retourner, j’imagine que quelqu’un qui le découvre, aura envie d’aller les découvrir… et avec le remake de Shadow Of The Colossus et le récent The Last Guardian, sans doute Rime est un bon premier pas vers ces deux titres.
En termes de technique, si le jeu espagnol est plus solide que ceux des développeurs japonais de la Team Ico, le titre reste terriblement mal optimisé sur TOUTES les plateformes sur lesquelles il est disponible, avec un carton jaune pour le PC / Xbox One / PS4, et le rouge pour l’infâme version Switch. C’est d’autant plus dommage que le jeu est vraiment beau dans son manteau de lumière, venant mettre en avant le fait que les mondes sont vastes, totalement ouverts, et sans la moindre trace d’une brume pour baisser la distance d’affichage. Le revers de la médaille, c’est que l’on paye la netteté et les panoramas ouverts contre un framerate complètement chancelant. On saluera la musique de Rime, qui est aussi tout bonnement sublime et donne beaucoup de magie à des instants qui en auraient probablement manqué, car on les a déjà vécu dans d’autres titres.
Enfin, la maniabilité beaucoup plus solide du jeu par rapport aux autres titres du genre, laisse à penser que Tequila Works est largement compétent dans la réalisation d’un jeu vidéo, et Rime est un jeu autrement plus solide sur le plan ludique qu’un The Last Guardian, et ô combien moins répétitif. L’ennui, c’est que l’un est capable de vous subjuguer au point de vous faire lâcher la précieuse larmichette, tandis que l’autre ne vous arrachera qu’un sourire ou deux. C’est la grande différence entre un conte original raconté par un homme qui sait comment écrire une histoire, qui travaille au cœur jusqu’à vous faire craquer émotionnellement, et quelqu’un qui aimerait vous faire ressentir des émotions.
Enfin, Rime tire sa dernière force de l’exploration. Il y a finalement beaucoup plus à faire dans les environnements qu’on ne le soupçonne. Même faire de l’exploration sous-marine (… ce n’est pas sale, référence subtile aux critiques du Masque : check) n’est pas si désagréable (combo salace : check). Rime vous offrira entre quatre et huit heures de jeu pour les plus déterminés, mais est-il si rejouable que ça, ou vous offrira-t-il davantage à le reparcourir par rapport à ce que vous aurez déjà vécu à ses côtés ? Non.
Pas forcément oubliable, car il s’inscrit dans un genre dont il n’y a que peu de représentants, mais il n’est pas de ceux qui marqueront un cap. Probablement plus ouvert qu’un Ico ou un The Last Guardian mais moins ouvert qu’un Shadow Of The Colossus, plus coloré qu’un jeu Ueda mais moins esthétique qu’un jeu de ThatGameCompany, en se trouvant constamment sur le fil entre ses influences, Rime parvient à ne pas être une vraie copie, bien qu’il n’arrive pas à être une véritable proposition originale. Il tient donc une place de jeu qui donne envie de voir ce qui l’a inspiré, mais qui ne donne pas envie d’y puiser pour se nourrir intellectuellement ou y trouver une quelconque source créative. Cela, probablement parce qu’il n’a pas créé assez pour donner envie de le faire. Dommage pour un jeu qui a tant envie, voire tant besoin, d’être différent, à l’instar de ses références. Car oui, il est impossible de devenir ce qui nous inspire, mais on peut devenir inspirant en étant inspiré, et c’est ici tout l’échec de Rime, qui échoue par manque d’identité, mais certainement pas par manque de compétence ou de talent. Parfois, avoir envie ne suffit pas, et pourtant, j’avais envie d’aimer Rime.
Tags Grey BoxNintendo SwitchPCPlaystation 4ReviewTantalus MediaTequila WorksXbox One