Retour sur Mafia III
L’équilibre. C’est le maître mot pour réussir une bonne œuvre, quelle qu’elle soit, c’est de l’équilibre. Mafia III est un jeu profondément déséquilibré, entre le bon feuilleton, à l’interprétation globale hautement supérieure à tout ce qui se fait à côté dans le jeu vidéo, et le jeu au gameplay complètement lambda a la répétitivité rarement vue. Néanmoins, Mafia III ne fait pourtant pas tant figure d’exception dans le paysage actuel ; les boucles de gameplay répétitives sont à la mode, et des The Division ou PUBG ne se posent pas là en tant que monuments de la variété. Le souci d’un titre comme Mafia III, c’est que sa boucle n’est même pas satisfaite, et rien ne vient vraiment apporter de variation à celle-ci. De quoi demander ce qui m’a permis d’accrocher au jeu de Hangar 13, décidément pas un Deck.
Le racisme, c’est pas bien, et Mafia III esquive cette question d’un revers de main pour mieux te la claquer en pleine gueule derrière. Alors qu’on aurait pu s’attendre à de grosses ficelles et des raccourcis d’écriture à tire-larigot, l’ami Mafia III ne fait pas dans la dentelle et aborde le sujet du racisme, du crime organisé, et de sa justification par des personnages humains qui ont malheureusement baigné. Dans un monde comme le leur, il paraît extrêmement difficile de subsister dignement, et d’exister dans une société qui prône la réussite financière comme seule manière d’accéder à un statut social décent. C’est dans ce contexte déjà excessivement violent sur le plan moral et psychologique que l’on fait connaissance avec notre protagoniste et héros de l’histoire, l’ami Lincoln Clay, qui revient du Vietnam. Le retour au pays semble se passer sans encombre, sauf que notre pote ici-présent a un petit problème de pigmentation : il est noir.
Et être noir, dans les années 60 aux USA, c’était probablement encore moins marrant qu’aujourd’hui. Mafia III a le bon goût de nous rappeler qu’à une époque où beaucoup de monde chiale parce qu’ils ne sont pas assez représentés dans les médias et dans la pop-culture, ou parce que – quelle horreur – l’écriture intrusi… inclusive n’est pas la règle dans la langue française. Désolé hein, mais voir un peu de vraie oppression, un peu de vraie maltraitance, un peu de vraie peur d’exister dans un monde qui ne veut pour le coup vraiment pas de nous, eh bien ça fait quelque chose.
Ce n’est pas un discours réactionnaire hein, c’est juste pour dire que les révolutionnaires qui ne se sont jamais fait harceler que sur Twitter manquent probablement d’un peu d’exposition au réel, histoire de se rendre compte qu’est-ce que c’est qu’un monde vraiment brutal et impitoyable. Ils devrait peut-être investir un peu plus de leur temps à étudier certaines époques vraiment sombres de l’histoire au lieu de chialer sur leur sort parce que – oh mon dieu – oui, les stéréotypes c’est encore d’actualité en 2018, et je vous « rassure » , ils le seront encore en 2040 parce qu’ils ont une valeur adaptative.
Maintenant, gardez-vous bien de me catégoriser en nazi ou quoi que ce soit d’autres, hein. Oui, aujourd’hui, il y a des inégalités. C’est juste, et c’est pour ça que le fait qu’il y ait un mouvement pour changer cela est une très bonne chose. Toutefois, les superlatifs et les campagnes de propagation de haine, voire même la justification d’un racisme anti-blanc avec une approbation silencieuse par non-dénonciation de ce genre d’idéologie, j’en pense que les personnes qui s’offusquent d’être victimes de discriminations souvent aussi virtuelles que leurs luttes, je les invite à se remettre à réfléchir avec de la vraie matière, de préférence grise. Voilà.
Donc, comme vous le voyez, Mafia III fait bien les choses, réaliste et grinçant, adulte sans verser dans le soft porn à base de cartes érotiques ou de scènes de sexes à grands renforts de nibards et positions suggestives sans jamais oser montrer le corps de l’homme (oh, il se reconnait, le concerné). On peut dire que le titre de Hangar 13 fait enfin plaisir. Enfin, l’histoire d’un jeu vidéo de cette génération s’adresse principalement à l’adulte qu’il y a en vous, et il vous pose des questions sur la morale, sur la société, sur la place des minorités dans une société qui n’est pas originellement la leur, sur la question de l’intégration, la question du conditionnement, bref… Ce n’est pas un débat sur les cigarettes électroniques ou cigarettes classiques (Dontnod doit vraiment me détester).
D’autant qu’avec ça, les personnages sont loin d’être d’atroces stéréotypes, bien que l’on remarque quelques archétypes, qui vont bien vite être tordus et troublés par quelques traits de caractères et anecdotes de vies des protagonistes. Tout cela fait que, au bout du compte, chacun a sa place et son utilité, et surtout a une vie. Et de cette dernière se déploie logiquement l’univers du titre. On a donc bien vite l’impression de jouer aux côtés de personnages vivants, de suivre leurs histoires, et de voir une vraie progression de ceux-ci avec celle-ci. On part pourtant d’une histoire de vengeance, hein ; pas le truc le plus frais de l’année. Néanmoins, c’est juste une histoire bien mise en scène, écrite, qui embrasse sa narration cinématographique sans aucun complexe au mépris de son propre statut de jeu vidéo parfois, fait que l’on rentre dedans avec un très grand enthousiasme. Et c’est un ludologue convaincu qui vous dit que « tout est narration » .
Il y a une phrase qui m’a marqué dans ce jeu. Je pense qu’elle est plutôt importante. Elle rappelle partiellement comment était vécue l’époque du côté des blancs racistes de cette génération, qui ont été obligés de voir le monde changer alors qu’ils n’avaient rien demandés. Cela permet de comprendre peut-être pourquoi il y a eu autant d’horreurs à l’époque, tandis que l’Histoire devrait peut-être plus se pencher sur les perdants parfois : « Avant, on n’avait pas à se battre pour ce qu’on a, mais avec les idéologies d’égalité, on est obligé désormais de s’adapter pour garder ce qui est à nous, parce que tout le monde veut sa part du gâteau » . C’est horriblement égoïste, mais imaginez-vous dans la position de ce personnage en fin de vie, et qui fait face à de tels changements. Comment lui expliquez-vous qu’il se conduit comme le dernier des connards ?
C’est ce que j’ai aimé dans ce Mafia III : il montre la souffrance des noirs, ainsi que le besoin de revendiquer une identité et une culture, là où la société d’accueil les a fantasmé comme des travailleurs obéissants car déracinés et donc soumis à leur condition de non-natifs. Toutefois, le titre n’oublie pas ceux qui ont aussi composé avec l’intégration souvent ratée, par manque d’implication du peuple et de l’État de l’époque, et qui pensait que les choses se feraient d’elles même.
Ce portrait, qui ne se contente pas de se biaiser d’une quelconque idéologie en ne mettant pas l’État et les flics sur le pilori, ni la mafia, ni la passivité globale de la masse (celle que l’on désigne ainsi par facilité, sans réfléchir deux secondes au fait que tout le monde n’a pas le temps ni les moyens de réfléchir à des questions existentielles et de société). C’est ça le meilleur de Mafia III. C’est quelque chose d’un peu juste, un peu vrai. C’est toujours ce petit moment où l’on se rend compte qu’on ne nous conditionne pas à croire en quelque chose, qu’on ne veut pas nous endoctriner dans une idéologie soi-disant saine, qui met pourtant de côté des réalités pour se concentrer sur celles qui ont le plus de charges émotionnelles (et donc de facilité à émouvoir).
Mais, trêves de réflexion et de choses aussi sérieuses ; je vais finir par écrire un essai. Mafia III, c’est bien écrit et bien mis en scène. Mais pour le reste ? Comme dit en introduction, la boucle de gameplay est d’une répétitivité assez incroyable, autant pour l’open world qui suggère une vague liberté d’approche, et qui pour le coup est la seule chose que l’on peut sauver avec des sensations de tir solides.
En affrontement, Mafia III est bien plus plaisant qu’un GTA V, sauf qu’il n’y a pas beaucoup d’armes, pas beaucoup de mécaniques de gameplay, beaucoup de murs invisibles incarnés par l’impossibilité de grimper à certaines endroits parce que « gnééééé j’y ai pas pensé ! » C’est très lourd à jouer pour ces raisons, même si l’ensemble est solide et fonctionne. On peut difficilement vraiment prendre son pied, sauf à de très rares occasions dans ces affrontements un peu pimentés par quelques modalités d’environnement.
Le plus plaisant finalement, ce sont les phases en véhicules avec les musiques de l’époque. La conduite est simple, et on se prend vite au rythme lancinant des voitures d’époque, avec ses 90 Km / h en vitesse de pointe, avec supplément excès de vitesse qui peut faire réagir les policiers du coin. Le mieux étant lorsqu’on est accompagné d’un mec dans la voiture qui va nous tailler une bavette dans la langue de Molière. Oui, fini les dialogues en anglais avec des accents de taré vous forçant à lire les sous-titres alors que vous êtes en train de conduire. A ce niveau, il envoie GTA littéralement dans les cordes, tandis que Mafia III offre en plus de cela l’une des VF les plus solides de l’histoire du jeu vidéo. Le casting y est brillant, tandis que l’interprétation est d’une rare justesse, appuyant des animations et des modélisations faciales d’une extrême solidité pour un jeu en monde ouvert.
Dommage que la réalisation au global souffre de pleins de petits soucis qui l’empêche de briller totalement. Modélisations globalement en deçà des cadors, distances d’affichage au mieux honnête, au pire scandaleuse (non mais matez-moi le rétroviseur !) des effets souvent datés… Bref, Mafia III est loin d’être beau, ce qui choque après un deuxième opus très en avance à l’époque. L’excuse du monde ouvert ne fonctionne pas, car les jeux de la série ont toujours été dans ce type de level design. Néanmoins, le jeu n’est pas non plus atroce visuellement, et quelques effets de lumière donneront un peu de cachet au visuel global, en flattant la rétine sans jamais l’éblouir.
On pourra aussi noter que les à-côtés ne sont pas passionnants, surtout là pour remplir le vide d’un monde, là pour simuler de la vie mais surtout donner le sentiment d’être juste un gars qui fait son bout de chemin dans l’univers (mention spéciale : je n’ai jamais eu envie d’écraser des civils, j’ai juste assommé une femme qui m’a traité de sale négro… et un connard qui voulait prévenir les flics parce que je venais d’abattre froidement un mafieux dans une échoppe… Non mais franchement !). La durée de vie se compte probablement dans la trentaine d’heures pour l’inintéressant total, mais la petite vingtaine pour l’histoire qui elle vaut le coup d’être vécue. Profitez-en pour faire les DLC qui sont du même calibre.
Oui, Mafia III, à jouer, ce n’est pas la joie. Un peu comme KOTOR II. Un peu comme Deadly Premonition… Le point commun à ces titres est qu’ils ont un truc, vous savez le « truc » dont vous parlez quand vous voulez donner envie à quelqu’un de regarder, lire, ou jouer à quelque chose qui de base ne donne pas trop envie ? Bah voilà, Mafia III, c’est ça. C’est fondamentalement pas terrible du tout, voire complètement barbant parfois, mais comme au global on contemple et on se laisse narrer une histoire plus qu’on ne prend la manette ou le clavier pour jouer, bah c’est une très bonne expérience, et un mauvais jeu vidéo… On devrait créer une catégorie pour toutes ces merdes, Toupilitou ; il commence à y avoir un paquet de représentants !
Clairement l’écriture de ce jeu est magnifique, la représentation du racisme, le vrai, sale et méchant, celui qui te fait serrer les poings de rage est extraordinaire, les mecs n’ont pas fait de compromis, le politiquement correct ils se sont assis dessus. Et puis t’as la partie jeu…j’ai rarement vu une IA aussi conne, pourtant dieu sait que c’est le parent pauvre du JV depuis des années, mais là c’est le summum de la nullité.
Et je me souviens aussi qu’au moment de la sortie (il me semble que depuis ça a été patché)les reflets sur l’eau étaient totalement exagérés, à certains moments il était juste impossible de naviguer, et quand une grande partie du jeu demande de passer par le bayou, et bien vous avez très vite envie de balancer le jeu par la fenêtre par peur de devoir prendre rendez-vous avec l’ophtalmo.
Mafia III c’est juste un jeu mauvais avec un message qui doit être entendu.
Grand paradoxe, mais je pense qu’il FAUT jouer à Mafia III, plus que jamais
Netflix si vous me lisez, adaptez ce jeu en série svp, ça lui conviendrait parfaitement.