L’escorte de père en fille
S’il y a bien une chose que les joueurs trouvent plus que largement insupportable dans les jeux vidéo, c’est les niveaux sous-marins… Ouais, mais il y a aussi les missions d’escortes ou de protections, pour une raison simple : l’intelligence artificielle des alliés est souvent aussi inefficace, voire moins efficace encore, que celle de nos adversaires. Pourtant, les développeurs s’évertuent à faire de l’escorte une mécanique centrale de certains jeux. Enfin, mécanique, c’est vite dit tant au fur et à mesure des années, les jeux d’escortes efficaces ont prouvé leur inefficacité dans la mise en avant de ce concept en tant qu’idée de gameplay intéressante et intelligente. Si bien que lorsque « escorte » il y a dans un jeu vidéo moderne, il s’agit soit d’une séquence qui tire sur la longueur avec un allié sac à points de vie que vous devez protéger en abattant des vagues d’adversaires, ou alors c’est juste un argument pour faire progresser une histoire et créer un lien avec le personnage escorté. Comble du hasard, trois jeux plébiscités par la presse ont utilisé cette mécanique narrative, sans jamais vraiment penser à l’intérêt ludique de la chose. Aujourd’hui, vous avez droit à une sorte de Spoiler Zone, en plus long et dense. Aujourd’hui, c’est The Last Of Us, Bioshock Infinite, et The Walking Dead de Telltalle. Tout un programme.
Avant-propos : Si tu n’as pas fini les trois jeux cités ci-dessus, j’en spoil une grande partie de chacun. Donc, si tu n’as pas peur du spoil ou que tu as fini les trois jeux, bienvenue. Sinon, je te conseille de lire les trois critiques de ces titres. Bioshock Infinite par Prypiat, The Last Of Us par moi-même, et The Walking Dead par Toupilitou.
Escorter : c’est chiant. Tout le monde le sait, et pourtant, on apprécie toujours autant les jeux qui nous font escorter des personnages virtuels, parce que la protection, l’entraide, c’est le meilleur moyen d’approfondir des relations entre deux personnages. Toujours est-il que si c’est évidemment un contexte en or pour mettre en avant la personnalité de plusieurs protagonistes, c’est pour le coup beaucoup plus casse-gueule côté gameplay, et cela peut très vite virer au drame. Toutefois, il n’y pas ce problèmes pour les trois jeux qui nous intéressent ici, et pour trois raisons différentes.
Commençons par le moins courageux. Telltale prend la médaille de cette section en ayant évacué l’idée même d’avoir un système de jeu, et se contente de multiplier les mini-jeux et interactions avec l’environnement et les personnages. Côté gameplay et implication du joueur dans le rôle d’escorte du protagoniste nécessitant protection (… la toute jeune Clémentine, en l’occurrence), on est au niveau zéro, parce qu’à part appuyer sur des boutons lorsque c’est demandé pour fracasser le crâne d’un zombie, ou trouver un médicament pour soigner le bobo de l’adorable gamine, on ne fait pas grand chose qui soutient le propos du titre. Même pour du Telltale, il y avait surement moyen de davantage impliquer le joueur.
Continuons par le plus fainéant, celui qui n’assume pas, mais qui fait quand même deux-trois efforts ici et là : The Last Of Us. Dans ce jeu, il arrivera qu’au hasard d’un QTE, ou d’un ennemi qui comprend enfin que le PNJ qui lui court sous le nez depuis trois heures a sans doute une saveur similaire à la vôtre, vous puissiez vous rendre utile dans la protection de la jeune Ellen Page… Pardon : Ellie. Globalement, on a effectivement droit à plus de séquences d’interactions et d’escorte, avec la nécessité d’aider la jeune fille à traverser des zones inondées, parce qu’en apocalypse type zombie, on préfère apprendre à une enfant à se défendre avec un couteau qu’à nager. Ça se tient.
Ce n’est pas le bout du monde, mais, au moins, The Last Of Us prend soin de rappeler la présence de la personne que l’on escorte. Il est cela dit dommage que vous soyez bien plus vulnérable et en danger qu’elle, car les ennemis se focalisent beaucoup plus facilement sur votre personne que sur la sienne ; on a bien plus l’impression de défendre l’enfant contre le flotte que contre les infectés, voire même contre les bandits que l’on croisera… Ce qui est en fait l’inverse de ce que suggère le scénario lui même, mettant en avant l’une des fameuses dissonances ludo-narratives, que monsieur Neil Druckmann préfère signaler dans ses titres plutôt que de s’employer à les éviter. On est au niveau 20 du foutage de gueule, là, monsieur.
Enfin, le dernier cas, probablement le plus intéressant, l’escorte d’Elizabeth (… Nan, pas celle qui fantasme sur les pirates et fini par embrasser trois mecs différents dans le même film. Damned, cette digression des enfers !) dans Bioshock Infinite. Ici, vous escortez le personnage narrativement… sauf que dans les faits, celle qui aide l’autre à survivre, c’est en l’occurrence Elizabeth avec ses pouvoirs et son fort caractère. Pourquoi ? Parce que les développeurs voulaient justifier une escorte sans mettre en danger le fun d’un gameplay assez réussi, tout en soutenant le joueur en difficulté en glissant un peu d’aléatoire dans les bonus que l’on vous offre, ainsi qu’avec les possibilités de gameplay.
Elizabeth fourni des munitions, des crochets, de l’argent, de la vie, de l’Adam (… fait pas chier c’est de l’Adam !) aux joueurs pour qu’il se tire des mauvais pas. Ce n’est pas vraiment un aveu de faiblesse. Vu la direction que prend l’histoire dans son final, on accepte aisément la direction du récit et du gameplay, et c’est finalement assez à-propos que Elizabeth renverse l’escorte au profit d’une entraide commune. The Last Of Us amorce aussi un peu cela, avec quelques initiatives prises par Ellie, mais c’est beaucoup moins notable que dans le dernier jeu de Ken Levine.
Mais bon, le gameplay, c’est bien, mais est-ce que les interactions des deux personnages construisent quelque chose si l’on se concentre sur l’écriture ? C’est ici un peu plus difficile à mesurer. Toutefois, pour ce qui est du ressenti du joueur, je dirais que celui qui réussi le mieux son pari, c’est The Walking Dead de Telltale, suivi de The Last of Us, et en dernier Bioshock Infinite. Ce critère, et sa réussite, n’est ici pas qu’une question de travail ou de quantité, c’est surtout une question de rythme et de focalisation du réalisateur. L’attachement à un personnage et souvent proportionnel au nombre de séquences intimistes qu’il y a entre les deux, et il faut le dire, là-dessus, Telltale a mis le paquet.
C’est ainsi que les interactions entre Lee et Clementine se font uniquement dans un cadre où ils sont seuls en interactions. Alors que Lee a clairement l’intention de protéger la petite sans jamais douter de son choix, il se prend très vite d’affection pour elle, tandis qu’elle trouve très vite en lui un père de substitution. Pourtant, les personnages ne partagent pas de vécu commun. Les confidences sont nombreuses, la relation se construit sur l’exploration des deux personnalités, et si Clementine apprend à connaître Lee (… et inversement), le joueur découvre les deux. Cela renforce son implication dans la vie de Lee, et donc dans ses choix à venir, mais aussi dans son rôle de protecteur / formateur de l’enfant. Il y a une séquence toute bête dans le chapitre 2 de The Walking Dead, mais qui fonctionne diablement bien : celle de la balançoire, où, pendant un instant, et il y en a un certain nombre dans cette première saison, Lee arrive à faire oublier à Clementine l’horreur dans laquelle ils évoluent.
Dans The Last Of Us, il y a peu de moments où la tension peut réellement baisser. Le jeu garde tout de même en tête qu’il est un jeu d’action, et qu’il lui faut donc des séquences avec un minimum de gameplay. C’est dans ses cinématiques que le titre s’avère le plus convaincant dans la construction de la relation des personnages, même si, à l’inverse d’un Walking Dead, il prend quelques instants assez précieux pour faire interagir les deux protagonistes lorsqu’ils sont en face d’éléments de décor. Ces éléments apprennent quelque chose à Ellie, qui demande alors son expertise à Joël (… ce dernier ayant eu la « chance » d’être né avant la pandémie). Ces séquences permettent de construire un rapport intéressant entre les deux personnages, et mettent surtout en avant la fatigue psychologique et un peu physique du personnage masculin, que cela soit pour The Last of Us, Walking Dead, et même Bioshock Infinite.
Pour Bioshock, rares sont les moments où la relation entre Booker et Elizabeth est mise en avant. Il y a toujours une distance entre eux, comme cette scène assez sublime sur le plan sémiologique, où, dans leur chute, Booker et Elizabeth n’arrivent jamais à se tenir la main, malgré qu’ils essayent vainement de le faire. C’est tout simplement parce que Booker n’essaye pas de sauver Elizabeth ; il essaye de se repentir de ses actions passées, et Elizabeth essaye à sa manière de l’aider à accepter ce qu’il a fait, parce que monsieur refoule au lieu de se confronter à l’ignoble réalité. Donc, la relation entre Booker et Elizabeth est en même temps extrêmement tendre, belle, et très sincère, avec un Booker qui est décontenancé par la jeune femme qu’est devenue Elizabeth. On ressent dans sa voix et ses gestes qu’il y a le désir de renouer une relation qui ne se refait pas, et ne se refera plus. C’est surement la plus grande réussite de Bioshock Infinite : cette escorte et cette relation qui se complexifie à mesure que l’on prend conscience de qui est Booker.
La force de ces trois jeux est de proposer trois pères, finalement très différents dans leur personnalité et dans leurs histoires respectives. Le moins intéressant est celui proposé par The Last Of Us. Un cinquantenaire brutal et brut de fonderie ayant perdu sa fille au début de la pandémie, et a une relation particulièrement compliquée avec sa seule famille restante, son frère. Si Joël paraît insensible, il est évidemment surtout un grand blessé sur le plan émotionnel, et l’histoire évacue d’elle même certaines questions : on ne sait rien de ses parents, on ne sait rien de la femme qu’il a dû avoir, et il a perdu sa fille, ce qui a eu un grave impact sur sa personnalité. Joël semble être insensible émotionnellement et se rapprocherait donc de l’état du psychopathe, mais il ne mime pas les émotions ; il ne les ressent tout simplement pas. En réalité, c’est juste une carapace qui a beaucoup de mal à ployer, si bien que même lorsqu’une de ses amies devient infectée par la maladie qui ravage ce monde, on voit chez lui une émotion sourde, une douleur qui ne se manifeste que peu physiquement, même si on sait pertinemment qu’elle est là. C’est d’ailleurs le rôle d’Ellie d’arriver à faire extérioriser cette souffrance.
Le vrai « point fort » de Joël en tant que personnage, c’est que c’est un homme qui ment pour protéger cette fille, et qui a beaucoup de mal à l’assumer, bien que cette dernière ne soit pas dupe. Reste que le personnage manque encore d’épaisseur. Ce n’est pas forcément le cas de Lee qui a tout simplement tout perdu, mais ne souffre aucunement d’une anesthésie sur le plan émotionnel. Lui, il a commis d’horribles choses, mais c’était avant l’apocalypse des zombies. Il vit cela dit avec ses remords, et doit supporter le regard des autres survivants qui le prennent, à tort ou à raison, pour une menace potentielle. Il fait d’ailleurs beaucoup écho à un autre personnage de la BD The Walking Dead, un des prisonniers nommé Dexter, qui a lui aussi tué l’amant de sa femme, mais aussi sa femme.
Accusé à tort d’être juste un assassin comme le prisonnier dans le comic, Lee ne suivra pas le même chemin et s’avérera être un homme droit, avec ses faiblesses certes, mais profondément bon et bien intentionné envers Clémentine et tout le groupe. Lee sera aussi le plus soumis aux épreuves à venir, et aura à charge de très lourdes responsabilités, tel que la cohésion du groupe, l’éducation de la jeune Clémentine ainsi que sa protection, et surtout, les critiques à son égard et sa manière de diriger. Lee est pourtant visiblement fatigué et désespère de ne pas pouvoir échapper à la situation qu’ils subissent tous ; à de nombreuses occasions, le personnage évoque le fait qu’il en a assez.
L’apothéose du personnage de Lee et l’une des plus belles séquences tous Telltale confondus, c’est la séquence « Armed with death » , où Lee, ayant été infecté par un mort vivant, se rend compte qu’il n’a plus rien à perdre et fonce dans une foule de zombies pour venir au secours de Clémentine. « Marcheur s’en souviendra » , comme dirait Telltale. Lee, c’est finalement un homme qui s’abandonne totalement pour sauver une gamine qu’il ne connaissait à l’origine ni d’Adam ni d’Eve, et qui fait juste la « bonne chose à faire » à ce moment précis de l’histoire. Néanmoins, le traitement du personnage, et tout ce qu’on a vécu avec lui, en font le protecteur parfait, tant protecteur qu’il fini par mourir pour sa fille de substitution.
C’est d’ailleurs le seul des trois qui meurt pour sa fille. Joël se sacrifie, mais fini au contraire par embrasser son rôle de père, en écartant Ellie de ses propres responsabilités pour la sauvegarder dans un geste particulièrement égoïste, mais ô combien compréhensible. C’est le cas Booker qui est au final le plus intéressant, bien que l’histoire de Bioshock Infinite fasse en sorte de ne pas trop en dire sur le personnage, mis à part le fait qu’il ait vendu sa fille à la suite de dette de jeux (… oui on appelle aussi ça un fils de pute). Il ne se sacrifie pas pour sa fille, il prétexte être en mission pour en sauver une ; il se créait un monde dans lequel il n’est responsable de rien de mal, et où il est le héros qui vient au secours de la jeune femme en détresse, alors que… c’est lui qui lui a infligé ça. On comprend bien qu’il se défend face à la réalité et que c’est terriblement douloureux pour le personnage (… créer un univers aussi fantastique pour combattre une douleur mentale insoutenable, c’est tout de même quelque chose).
Ken Levine a caché cette lecture de l’histoire sous un délire de dimension parallèle avec des constantes et des variables, mais reste que c’est la vision la plus intéressante sur le plan humain, et la vision qui construit une relation assez fascinante de père à fille. Notons d’ailleurs que mis à part le cas Infinite, Joël et Lee ne sont pas de vrais pères biologiques pour les filles qu’ils protègent ; l’un a perdu son enfant et la retrouve dans la fille qu’il protège (Joël et Ellie), tandis que l’autre fait ce qu’il lui semble être juste pour se repentir de ses actes passés (… avoir pris une vie / en protéger une avec Clémentine et Lee). Le fait que cela ne soit pas des vrais pères donnent lieu à des séquences où Ellie et Joël remettent à tour de rôle en cause la relation qu’ils doivent entretenir, jusqu’à cette séquence qui est assez poignante :
Dans Bioshock Infinite par contre, on est face à un vrai père… qui, paradoxalement, tente en même temps d’échapper à son rôle (dans son délire, il n’est pas le père d’Elizabeth), bien qu’il soit aussi attiré par l’espoir de redevenir le père de sa fille. On est donc dans un cas fondamentalement différent, parce que contrairement à The Last Of Us et The Walking Dead, Booker n’est mentalement pas prêt à assumer sa fonction, parce qu’il a tout simplement perdu la raison ; il est en même temps conscient de son devoir (… Il DOIT protéger Elizabeth, mais il se déresponsabilise initialement de son rôle de père), ce qui rend la relation entretenue par les deux personnages extrêmement complexe, tout en expliquant les sautes d’humeur et les changements parfois brusques d’attitudes d’Elizabeth vis-à-vis de Booker, partagés entre la crainte, l’amour, et souvent la haine pour ce personnage. Drôle de récit pour un drôle de jeu.
Mais parlons aussi des filles, en l’occurrence, vu qu’elles sont clairement le leitmotiv des jeux en questions. On a ici aussi trois profils radicalement différent. Déjà, évacuons Clémentine qui est une page vierge dont le joueur écrira l’histoire. Mis à part le fait qu’elle ait eu une babysitteur et deux parents qui ont disparus, le personnage de Clémentine sera écrit par le joueur dès la saison 2, en la contrôlant directement, mais aussi par les choix de Lee dans la première saison qui commenceront à dessiner sa personnalité. Je ne parlerai malheureusement pas de A New Frontier parce que je n’ai tout simplement pas joué à la dernière saison de Walking Dead. Toujours est-il que Clémentine se défini par ce qu’on en fait, et c’est une vision malheureusement peu compatible avec le développement ici-présent. On peut juste dire qu’avec Lee, elle est une petite fille fragile, adorable, gentille, et naïve, qu’il va falloir tirer de cet enfer en lui apprenant que la vie dans une apocalypse zombie, c’est pas la joie. Toutefois, elle le comprendra aisément vu que la dernière personne qu’elle aime mourra, achevé par ses soins, ou deviendra un zombie alors qu’elle s’épargne ce spectacle. Mais il fait bon de vivre aussi.
Par contre, Ellie, de The Last Of Us, a une histoire assez dense si l’on prend en compte ce qu’elle dit à Joël, mais surtout ce que l’on en apprend avec le DLC Left Behind, qui nous fait voir qu’elle a un passé, qu’elle a eu une petite amie et qu’elle l’a perdu ; ça fait beaucoup pour une adolescente. C’est pour cela que le personnage a tendance à être extrêmement caractériel, agressif, et ne laisse lui aussi que peu transparaître ses émotions (avec un effet miroir assez sympathique entre elle et Joël). Ellie est par contre largement capable avec un surin, un flingue, ou un arc, et sera même jouable, ce qui créait une relation différente entre le joueur et la vision qu’il a de ce protagoniste qu’avec, par exemple, Clémentine dans un premier temps. Ici, Ellie a conscience que malgré les difficultés qu’elle a, elle a une formation, et sait survivre par elle-même. Elle pourrait sans sortir sans Joël, mais comme l’union fait la force, et que malgré tout elle s’est sincèrement attachée à cet homme d’âge mûr et ronchon, il se dessine une personnalité déjà beaucoup plus nuancée, marquée par la vie et la douleur de la perte malgré un jeune âge. Ellie n’est pas une adolescente et n’en a pas eu le temps, d’ailleurs. Clémentine dans la Saison 2 de The Walking Dead manquera aussi de temps pour grandir, vu à quel point elle sera vite confrontée à la difficulté de la vie et à des responsabilités.
Ce qui nous amène à notre Elizabeth qui, décidément, à beaucoup à dire elle aussi. On parle d’une jeune adulte qui paraît aux yeux de Booker fragile et incapable de se débrouiller d’elle-même, alors qu’avec un peu d’observation, elle a déjà un fort caractère, elle est capable de prendre des décisions, et sait ce qu’elle veut. C’est donc déjà une assez forte tête qui ne fait pas réellement confiance à son « protecteur » , vu qu’elle a déjà elle-même eu à faire à un geôlier bienveillant (… Songbird et le motif récurrent de l’oiseau en cage). Elizabeth n’aspire qu’à la liberté, et Booker semble être celui qui la libère. Toutefois, elle comprendra bien vite que c’est pour mieux l’enserrer avec de nouvelles chaînes à cause de l’ambiguïté de la relation des deux personnages.
Ce père est-il là pour qu’elle se libère ou pour qu’elle retrouve de nouvelles chaînes dont elle n’a plus besoin ? Sous cet angle, on comprend pourquoi Elizabeth a en même temps du mal à se séparer de Booker, mais aussi du mal à accepter le fait qu’il tienne un rôle de père auprès d’elle. Et c’est d’ailleurs un trait presque commun aux trois jeux : le passage de flambeau. C’est quelque chose qui me tient beaucoup à cœur, une relation entre le maître et l’apprenti finissant d’une manière ou d’une autre par une séparation plus ou moins brutale, et plus ou moins douloureuse. Ici, la séparation se fait dans deux cas, mais il y a bien un passage de flambeau.
Nous pouvons commencer en évoquant The Last Of Us, où le passage de flambeau n’est pas désiré et est accidentel lorsque Joël fini par être lourdement blessé, et cela laisse Ellie se débrouiller d’elle-même alors que nous ne sommes qu’au deux-tiers du jeu. Ce passage de flambeau est problématique, parce qu’il est « avorté » , et Joël fini par reprendre son rôle de père, ce qui posera un problème dans l’épisode 2, à n’en pas douter. Ce passage de flambeau est sans doute l’un des plus violents sur le plan traumatique, parce que, bon, Ellie a soit failli se faire tuer puis dévorer, soit violer puis tuer puis dévorer… On a rarement vu mieux dans le sordide. Le passage de flambeau passe surtout par le fait qu’on incarne le personnage au sein même du jeu de base, ce qui est tout de même mieux pour la structure de l’histoire que de juste faire un standalone (… qui s’ajoute au développement du personnage, mais paraissant artificiel, car non-intégré à l’histoire de base).
Le passage de flambeau est par contre brutal, mais aussi intéressant, sur le plan narratif dans le cas de The Walking Dead Saison 2 où, soit après avoir achevé Lee, soit après l’avoir laissé se zombifier, elle se retrouve à faire face presque seule au monde, après avoir été influencée par le combatif Lee. Cela dit, elle prend presque le rôle de leader dans un groupe où personne ne prend les devants pour diriger, mis à part Luke qui est un jeune homme courageux, mais qui trouve en Clémentine quelqu’un sur qui se reposer, et à qui demander conseil malgré son jeune âge. Elle en a vu bien plus que ceux qu’il côtoie. Il lui permet de mieux gérer la transition vers la totale indépendance, qui peut avoir lieu dès la fin de la seconde saison.
Le passage de flambeau est par contre désiré dans le second add-on de Bioshock Infinite, où après avoir beaucoup réfléchi à cela, Elizabeth, qui a pour l’occasion pris un coup de vieux, décide de se séparer une nouvelle fois de Booker. Dans cet add-on, elle apparaît moins hésitante que dans le jeu de base, bien qu’elle laisse tout de même transparaître des doutes quant à ses capacités de survie. Heureusement, elle s’avérera pleine de ressource et saura faire face seule, mais elle finira par mourir dans son aventure solitaire. Morte dans un tombeau sous marin, mais hors de sa cage nommée Columbia.
Dans les trois cas, le sacrifice du père permet l’indépendance de la fille et d’accomplir ce passage de flambeau. Mais il y a quelque chose qui est étrange avec ces trois jeux et leur période de sortie, tous en fin de précédente génération ? Pourquoi trois jeux qui parlent d’un passage de flambeau, d’escorte, et d’apprentissage d’un personnage féminin en fin de génération ? Tout simplement parce que l’industrie, tout comme la culture, est en train de remettre en avant des personnages féminins forts en tant que personnages principaux, et commence surtout à les travailler beaucoup plus sur le plan de la personnalité.
J’en veux pour preuve un certain nombre d’icônes féminines du jeu vidéo qui font leur retour ces derniers temps : Faith de Mirror’s Edge avec Catalyst (… bon elle aurait pu rester chez elle), Samus de Métroïd après les pleurs de milliers de fans qui voulaient son retour, Lara Croft avec Tomb Raider (… elle aussi aurait pu rester chez elle), Kate Walker avec Syberia 3 (… décidément !) Bayonetta avec Bayonetta 2, Zoe Castillo pour Dremfall Chapters. Mais il y a aussi l’émergence de nouvelles héroïnes : Joule dans Recore, Aloy avec Horizon Zero Dawn, 2B pour Nier Automata, Senua pour Hellblade Senua’s Sacrifice, Kat avec Gravity Rush, Evy dans Assassin’s Creed Syndicate.
Bref, il y a un retour en force des personnages féminins pour les grosses franchises, avec de nouvelles icônes pour le médium qui change un peu l’image que l’on a de ce dernier. Et je pense que le fait que ces trois jeux d’escorte soient sortis en fin de génération est soit un beau hasard, soit un beau message, car avec eux est venu l’annonce du retour de personnages féminins forts pour le média, bien que certains jeux fassent de la résistance (Final Fantasy XV).
Effet d’annonce ou hasard bienvenu ? Quelle importance au final ; les faits sont là. Désormais, le jeu vidéo commence à lentement sortir de son imagerie quelque peu machiste, et commence à mettre en avant plus de personnages féminins sans avoir trop peur de perdre son potentiel vendeur. Toujours est-il que ces trois jeux d’escorte sont intéressants sur le plan de la symbolique, et sont suffisamment bien écrits pour que je vous conseille de vous y replonger pour en voir toutes les facettes.
Haha, un article pour moi. Bah, oui, ça me concerne vu que je suis une escorte girl affirmée sous l’aile de tonton Toupi la Saumure XD
Plutôt d’accord avec ton analyse des jeux cités – bien que, j’ai une vague idée sur TLoU, n’étant pas sur PC – l’escorte est un gimmick vidéoludique que pas mal de joueurs facepalment quand ils y sont confrontés mais quand c’est bien pensé, ça peut être un outil narratif redoutable. Je me souviens encore de la plaie qu’était l’escorte dans Resident Evil 4 avec cette Asheley boulette qui se noie dans un verre d’eau mais l’escorte de Bioshock Infinite m’a aussi marqué dans le bon sens du terme (côté narration, Infinite est un poids lourd, dommage qu’il pèche autant de point de vue gameplay). L’escorte ça peut créer de l’empathie et de la familiarité avec le personnage en question et ça peut être efficace pour bien s’attacher à un perso. Je cite aussi le jeu ICO qui a bien su exploiter cette mécanique.
Après, je ne suis pas du tout d’accord avec le rapprochement que tu fais entre l’escorte et l’avènement des persos féminins. D’abord, je suis contre ces délires SJW qui cherchent à sortir des déductions féministes à partir de tout et de rien. Ensuite, en plus, je trouve ça un poil machiste de faire ce lien ; comme si les persos féminins n’ont eu de reconnaissance qu’après s’être fait escortés par des mecs des jeux que tu cites. Quand je vois ça, c’est comme si se faire escorter, c’est l’apanage des persos féminins parce qu’ils sont « naturellement » trop faibles pour que ce soit elles qui escortent les persos masculins. Je sais très bien que c’est pas ton intention mais c’est quand même ce que je déduis de ton rapprochement. Pas du tout d’accord avec ça. L’escorte ça va dans les deux sens. J’ai pas d’exemple en tête mais des filles qui escortent des mecs , c’est réciproquement naturel et, dans les deux cas, on devrait pas y chercher un signe de reconnaissance envers un sexe ou un autre. C’est les personnages en eux même qui comptent, pas le fait qu’ils soient masculins ou féminins parce que c’est pareil et ça nous ait égal.
Celui qui a fait de l’escorte son thème principal de jeu, aussi bien en termes de gameplay qu’avec la narration, c’est Brothers – A Tale Of Two Sons. Ça ne durait que 3h, et la dernière fois que j’y ai touché c’était il y a 3 ans 1/2, mais, putain… je m’en rappelle encore super bien tellement il m’avait marqué. Au passage, même au clavier, contrôler les deux frangins était bien pensé.
Pour le reste, j’suis plutôt d’accord avec Andy via-à-vis des personnages féminins. Au fil des ans, on en voit davantage, certes, mais je pense que c’est avant tout un argument marketing allant de pair avec « l’évolution » de la société. Bref, pour moi, bien souvent, ce n’est surtout que du cynisme.
D’ailleurs, là, comme ça, je n’ai pas non plus en mémoire un personnage féminin escortant un gars, et axant tout ou partie des mécaniques du jeu autour de cela. Lorsque c’est le cas, j’aurais même tendance à dire que la représentation est davantage un esprit éthéré avec une voix féminine guidant le héros, plutôt qu’une présence physique. Non ?
@Marcheur : t’as quand même réussi à m’intéresser à Bioshock Infinite, alors que je sais pertinemment que, de base, ce n’est pas du tout le genre de jeu pour moi ; je ne pensais pas que le propos allait aussi loin ^^
@Andy : Alors, t’as fait ton chiffre aujourd’hui ? ^^
Je vois que ça ne parle que d’escort girl (cela ne m’étonne qu’a moitié vu que l’on est ici sous l’égide de Toupi la saumure) mais personne ne parle d’escort-bête qui est pourtant la thématique principale de Last guardian. Il parait que la principale force du titre réside dans la complicité entre le héros joueur impuissant mais finaud et sa bête chelou puissante mais co-conne…étonnant que ce contre exemple ne soit pas cité dans l’article.
Disons qu’il s’agit d’un article centré sur l’escorte entre un « père » et sa « fille », et pas l’escorte entre une bestiole et un gars. Pas si étonnant que ça finalement
« L’escorte ça va dans les deux sens. »
C’est pas faux, mais le truc étrange, c’est que peu importe le type d’escorte (mâle ou femelle), le client a sensiblement le même profil, à savoir celui d’un vieux dégueulasse pété de thune.
« mais personne ne parle d’escort-bête »
Tout à fait d’accord, la zoophilie mérite d’être plus mise en valeur. Dois je vous rappeler qu’ici on squatte chez une loutre ? :p
Là pour le coup, dans chaque situation on est loin du rapport « on a besoin d’un mec » on est plus dans des situations où tous les personnages principaux féminins ici présent ont besoin d’un père :p
Et je suis aussi contre les délires féministes ect ect… mais pour le coup ont a eu trois gros cas quasi simultané qui ont amené derrière eux beaucoup de retours ou de nouveaux personnages féminins en guise de personnages principaux, dont les personnages ici présent. L’escorte dans le jeu vidéo, c’est malheureusement aussi un peu toujours dans le même sens sauf dans le cas d’Infinite (d’ailleurs je le dit dans le texte : l’escorte ici est assurée plus par Elizabeth que le très fragile Booker).
J’aurais été d’accord sauf que là justement, j’ai articulé le propos pour que ça ne vienne pas de tout et de rien : c’est quand même une grosse partie du propos des jeux, la progression est la même.
The Last of Us : trois quart du jeu on escorte la fille, on lui apprend à survivre, paf on l’incarne dans un gros segment du jeu + DLC.
Bioshock Infinite : ambiguïté sur une escorte ou un enlèvement + le fait que Booker est plus escorté qu’Elizabeth ne l’est + le second DLC narratif ou on incarne Elizabeth.
The walking Dead : bah… la saison 2 :p
Y a quand même eu un avènement de personnages féminins plus présents qui va de pair avec le cinéma et les autres médias, ça progresse doucement mais je voulais juste réfléchir sur ces trois jeux qui ont précédés ce changement, on a clairement trois jeux qui parlent tous de passage de flambeau de « père » à « fille ». Justement, l’escorte ici n’est pas là pour dire que les personnages sont trop faibles, Ellie dans The Last of Us sauve la mise de Joel plus d’une fois, Clementine devient juste exactement ce qu’était Lee pour son groupe, c’est à dire le personnage qui maintient un fragile équilibre et Elizabeth est juste l’héroïne de Bioshock Infinite :p
Des filles qui escortent des mecs… justement c’est assez rare, c’est surement là dessus que Bioshock Infinite a fait quelque chose… et probablement un peu aussi « A New Frontier » mais j’en parlerai sans doute un jour.
PS : Merci d’avoir cité Ico, j’y avais pensé mais je connais pas assez le sujet, reste que c’est quand même l’histoire d’un petit garçon qui escorte une femme étrangère… qui le sauve à la fin :p
Toupi, là, tu viens de tirer un trait sur la perspective que je puisse un jour t’adopter et te considérer comme mon propre fils, malgré ta nature de rongeur de rivière :p
Comme le dit Toupi, c’est « père en fille » pas « poulet / chien / chat / griffon en garçon » :p
Par contre t’as le droit d’acheter une PS4 pour y jouer :p
Ah Flofrost… tu viens avec moi casser la gueule à Maxine ? Cela ferait un putain de rendez vous galant, on en profitera pour casser du SJW.
Commences pas à lui donner des idées Flo. Déjà qu’on se surveille les fesses tout le temps ici contre tes mains baladeuses et celles de Navarre, faudrait pas que la loutre s’y mette aussi :p
Oui et ils ont fait plein de jeux Luigi après le succès de Mario Bros. On n’ira pas pour autant jusqu’à dire que Mario a revalorisé les ritals chétifs qui étaient auparavant défavorisés. Tu vois ce que je veux dire ?
Moi je comprends tout à fait où tu veux en venir mais je trouve quand même ce raccourci douteux. On n’a pas attendu ces jeux là pour se rendre compte que les femmes peuvent atteindre le stade prisé des protagonistes au même titre que les hommes. Tomb Raider, Metroid, les 3 1ers Resident Evil, Silent Hill 3, Beyond Good and Evil, les Bloodrayne et tous les RPG avec création de perso ; les femmes protagonistes de jeux vidéos, c’est vieux et c’était suffisamment répandu avant les jeux que tu cites.
La femme s’est définitivement intégrée dans l’esprit des geeks normalement constitués depuis Ripley de Alien en 1979. Au niveau du collectif des joueurs, les femmes protagonistes ça n’a jamais été un tel tabou pour que ça se remarque à un point où ça pousse ou freine la popularité d’un jeu. Il y a toujours eu quelques cas de pervers ou coincés, je dis pas, mais c’est nouveau ça, le cliché du gamer machiste. Après, là où il y avait des réticences à l’égard des femmes, c’était surtout au niveau des marketeux et des éditeurs esclaves du chiffre qui, dans leur délire obtus, pensent qu’un mec baraqué qui prend la pose badass sur l’affiche, c’est plus vendeur qu’une femme qui fait pareil… ça a changé après la vague de féminisme qu’a eu les states ces dernières années avec des phénomènes comme Anita Sarkeesian. Désormais, passer pour des progressistes, c’est devenu pour les marketeux le nouveau filon à exploiter pour bien vendre (vois ce qu’est devenu Bioware) et c’est pour cette raison qu’on en voit de plus en plus comme l’a dit Toupi. Et encore, par rapport à la quantité de jeu qui sort, c’est pas ce que j’appelle un retour en grande pompe, car c’est pas fulgurant le nombre de jeux avec des femmes protagonistes récemment par rapport à historiquement… En tout cas, je pense pas du tout que le fait d’aborder les femmes dans l’escorte ait provoqué un changement de leur appréciation des joueurs.
Tiens, je viens de me souvenir d’un bon exemple de femme qui escorte un homme dans un JV. Dans Max Payne 2, il y a une longue section où tu contrôles Mona Sax qui couvre Max au sniper. Et ben, après cette séquence là, on se dit « putain, Mona Sax, elle est bien badass comme personnage », mais je pense pas que la plupart des joueurs se disent « putain, je viens de me rendre compte que les femmes fortes et indépendantes, ça arrive. Je sens que je suis devenu capable d’accepter le fait d’incarner une femme dans un autre jeu. ». Voila quoi.
Message reçu Flo ; tu viens de me donner une idée pour ton dessin d’illustration