Les intouchables – Cuphead
Annoncé en 2014 pour sortir en 2015, c’est pourtant bien le 29 Septembre 2017 que Cuphead sort finalement sur Steam, GOG, Windows Store, et Xbox One. Fruit du rêve de deux personnes, du travail du studio MDHR et du financement supplémentaire de Microsoft, Cuphead est passé du boss rush au run and gun proposant quelques phases de shoot’em’up, et bien sûr, beaucoup, beaucoup de boss. Toujours pensé comme un jeu exigeant avec une esthétique directement inspirée des dessins animés des années 30, Cuphead s’impose en cette fin d’année comme un petit jeu à 20 euros ressemblant en réalité à un nouveau classique du jeu indépendant. Cuphead, le presque jeu de l’année 2017.
On l’aura attendu longtemps, et ses multiples reports nous ont fait peur. Pourtant, il n’y avait réellement aucune raison de craindre quoi que ce soit. C’est un jeu dont chaque élément, chaque arrière-plan, a été dessiné à la main pour offrir un rendu aussi dingue, et qui a par ailleurs demandé un sacré travail de game design sur chacun de ses boss. Il faut bien le dire : Cuphead, avant même qu’on ne parle du jeu en lui-même, force le respect par ses ambitions, et tout le travail qui est d’ores et déjà évident lorsqu’on en voit ne serait-ce qu’une bande-annonce. Beaucoup de studios, rien qu’à l’idée de la somme colossale de travail que demande ne serait-ce qu’un niveau, auraient tout simplement abandonné le projet.
Pourtant, MDHR, s’est accroché à son rêve, et à travailler d’autant plus afin d’offrir au final la version la plus proche possible de leur idée initiale. Sans Microsoft, sans doute que le jeu aurait été un peu plus pauvre, obligé de se restreindre à ses combats de boss qui en font pourtant tout le sel. Cela l’aurait déjà propulsé comme l’un des jeux les plus remarquables, non pas de son année (déjà richissime), mais d’une génération de machines tout entière. Si Microsoft, en investissant dans le projet, s’est garanti une exclusivité console de choix donnant un regain de sympathie à l’image de sa marque, on regrette tout de même que les joueurs PS4 comme Switch en soient purement et simplement rendu à y jouer sur PC, ou à investir dans une Xbox One. Cruelle loi du marché.
Parce que Cuphead, ça vaut déjà le coup de le regarder. C’est probablement un plaisir simple qui ne devrait pas être important dans un jeu vidéo, mais le spectateur de Cuphead trouvera l’expérience fort agréable. Le joueur d’autant plus, mais nous y reviendrons. Cuphead n’est pas beau : il est magnifique, et quelque part il est même parfait, car sa seule et unique intention était d’être un dessin-animé des années 30 qui soit jouable. C’est un succès absolu. C’est splendide. Il est déjà complexe de rendre un dessin-animé avec ce style, mais alors en faire un jeu vidéo avec son lot d’interactions, d’animations, et d’effets visuels… C’est forcément d’ores et déjà renversant quand on se rend compte que tout ce qui se passe à l’écran a été fait à la main. Et si vous pensez que c’est juste une manière pour les développeurs de se faire mousser : sachez qu’ils ont essayé de rendre le visuel avec des polygones, et ça n’avait simplement pas la magie qu’ambitionnait le studio.
Donc, oui, c’est beau, c’est varié, ça emprunte du Woody Woodpecker, Betty Boop, Mickey… enfin, du classique, et le mélange est détonnant. On navigue d’une ambiance à l’autre. Pas de recyclage. La règle d’or de Cuphead : un niveau = une atmosphère. On prend donc un pied fou. Malheureusement, les temps de chargement sont assez fréquents et longuets, bien que l’on n’ait pas à les subir lorsqu’on recommence après une mort. Une feature qu’il aura fallu attendre un an chez certains, et qui est ici présente dès le lancement (… pas vrai, Recore ?)
Si vous vous demandez si le son est de même qualité, laissez-moi vous dire que c’est au moins aussi bon. Tous les bruitages et doublages ont été enregistrés avec les défauts d’époque : ça sature, ça grésille, c’est vraiment bien foutu, et bizarrement, agréable à l’oreille. Cohérent de bout en bout avec ses intentions, Cuphead s’habille de musiques classique et de jazz pour rythmer son action dans son monde de bric et de broc, sorti tout droit de l’imaginaire d’une époque révolue. La musique contribue beaucoup au caractère de Cuphead, et confirme le jusqu’au-boutisme de l’équipe qui produit la chose. Je sais pas si « l’amour » est assez fort pour pousser une équipe de si peu de personnes à aller aussi loin dans leur rêve, mais putain… Achetez Cuphead. Achetez-le, parce que vraiment ça donne envie de pleurer à voir jusqu’où sont allées ces personnes pour réaliser ce jeu, allant jusqu’à hypothéquer leurs maisons. Putain, qui fait ça par passion aujourd’hui ?
Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait beaucoup de gens à l’extérieur qui voulaient ce que nous étions en train de faire. Mon frère et moi avons quitté nos emplois, hypothéqué de nouveau nos maisons, et avons commencé à agrandir l’équipe. C’était notre chance de livrer le jeu que nous voulions vraiment faire, plutôt qu’un petit jeu fait par une équipe de trois personnes. * Source
Maintenant que nous y sommes, abordons ce qui intéresse évidemment le plus. Cuphead est d’une école rétro : simple à prendre en main, difficile à maîtriser. Une touche pour sauter, une touche pour tirer, une pour dasher, une pour l’attaque spéciale, et c’est bon, tu peux y aller. Alors bien sûr, le jeu n’est pas accessible à un analyste comme Dean Takahashi, mais pas non plus de quoi rester trois minutes sur le tutoriel. Néanmoins, de là à dire que c’est un cauchemar pour HARDCORE gamers ; oui, il faut mettre en majuscules pour bien signifier qu’aujourd’hui nous sommes des HARDCORE gamers si nous jouons à des jeux de plateformes, des RPG, ou des run and gun. Mais, pas d’inquiétudes : pour les moins expérimentés d’entre vous, il existe un mode simple pour les niveaux du jeu, ce qui permet de se familiariser avec les boss avant d’attaquer le niveau de difficulté suivant. Malheureusement, les planqués chialeront. Cuphead refuse d’ouvrir ses portes plus avant à ceux qui ne feront que les niveaux en mode simple, car ça serait… trop simple, tout simplement.
Donc, voilà comment ça se présente. Trois types de niveaux : boss (principal mode), run and gun (six niveaux en tout), et shoot’em up (… une poignée tout au plus). Le contenu est plutôt massif pour un jeu du genre, et la carte du monde sur laquelle vous naviguez est très bien remplie. Vous terminerez le jeu en une grosse ou petite dizaine d’heures selon le profil, sachant que vous pouvez aussi le faire en coop uniquement en local pour l’instant ; un comble pour un jeu Xbox One (… n’est-ce pas, Halo 5 ?)
Maintenant, intéressons-nous au gros morceau : les boss. Ils sont nombreux, très nombreux, et très soignés. Ils ont un comportement en même temps prévisible, et suffisamment varié, déclenché selon des routines générées procéduralement rendant chaque tentative différente. Pas au point de changer la donne complètement, c’est sûr, mais au moins, cela réduit la possibilité de s’ennuyer au prochain essai. De toute façon, vous ne vous ennuierez pas : vous aurez la rage. Parce que s’il y a une belle et vraie courbe de difficulté dans Cuphead, force est d’admettre que chaque boss y va de son challenge et de son intérêt. Je me souviens de chaque confrontation, et c’est toujours un régal d’y revenir avec une nouvelle arme, parmi les six disponibles, pour tester de nouvelles approches.
Bien sûr, d’autres objets tels des bonus et équipements viennent compléter l’offre, mais aussi trois « supers » à obtenir à la sueur du pad (… mais des petits malins me diront « ah mais en fait c’est carrément jouable au clavier / souris si tu acceptes de chopper une tendinite de Quervain, oui-oui c’est tout à fait jouable et appréciable au clavier !« ). On a donc un système de jeu relativement pauvre, mais qui suffit largement pour un jeu finalement assez court en temps réel de jeu (… sans les morts répétées, on s’en tiendrait à probablement deux heures), mais comme nous sommes là pour mourir (… ça fait un peu de bien de perdre dans un jeu vidéo aussi), on ne se plaindra pas.
D’autant qu’en plus de la variété des combats de boss, et leurs constructions qui les rend parfois rejouables à l’envie (… chaque mode de difficulté compris entre le mode simple, régulier, et difficile amène de nouvelles attaques et phases de notre adversaire), il y a aussi les autres niveaux. Ne mentons pas : ceux-ci ne sont pas aussi aboutis ni réussis que les boss, et bien qu’il ne dénotent pas trop pour autant, il faut les prendre pour ce qu’ils sont : un bonus de développement que nous n’aurions pas eu sans le financement de Microsoft. Ainsi, les niveaux de run and gun ne sont pas des perles de plateforme (… encore moins le tout premier qui ressemble à un tutoriel plus poussé), mais ils donnent beaucoup de rythme, car leur philosophie et la suivante : avance, ou crève. Donc évidemment, les ennemis reviennent à la vie. Vous ne pouvez pas nettoyer la zone non plus, donc pour les angoissés du 100 %, sachez que ce n’est pas possible de tout buter (… et c’est pas grave non plus).
Donc, profitez de ces niveaux comme il se doit. Leur level design est globalement simple et fonctionne rarement différemment d’un combat de boss. C’est du défilement horizontal, donc avancez en bourrinant. Parfois, ne pas tirer vous permettra de vous concentrer sur les plateformes en traversant le niveau sans abattre une saloperie sur le chemin. Ces niveaux sont ceux qui vous permettent d’acquérir les pièces (peu nombreuses) nécessaires à l’achat des diverses armes et compétences du personnage, permettant de vous créer plusieurs builds.
Enfin, les quelques niveaux de shmup vous permettront de découvrir une facette plus mobile du gameplay de Cuphead, qui permettra de faire varier encore un peu plus la proposition. C’est ici particulièrement soigné, et les affrontements seront particulièrement mémorables et complexes. C’est clairement ici le placement et votre capacité à saisir la bonne occasion, plutôt que l’endurance pure, qui vous permettront de vous en tirer avec les honneurs d’un bon score. Sachant que le premier combat en shmup face au premier boss vous restera en mémoire pour sa putain de dernière phase, digne des meilleurs boss d’un jeu japonais. Dinguerie pleine et entière.
Que reste t-il à dire ? La carte du monde renferme quelques petits secrets et passages secrets, ainsi que son lot de personnages pouvant expliciter un peu plus l’histoire, simpliste mais attachante, de ces deux têtes de tasses (Cuphead et Mugman), qui ont malheureusement parié avec la mauvaise personne. On retiendra que c’était surtout une formidable virée dans un enfer comme on en manque, et qu’au final, c’est largement plus mémorable qu’un scénario alambiqué ; les animations des personnages, plus que les cinématiques en images fixes (mais magnifiques) rendent le tout attachant. Alors, c’est quoi le problème avec Cuphead ? C’est que je pense qu’il faudra probablement attendre une paire d’années avant de voir un truc aussi dingue sortir. En tout cas, les trois années d’attente paraissent si peu quand on se rend compte que, Cuphead, c’est sans doute l’œuvre d’une vie. C’est beau. Ah, et parce que ce n’est pas un défaut mais qu’il faut quand même le dire : c’est uniquement en version anglaise intégrale pour l’instant, et si tu ronchonnes, t’en prends une, parce que la version française est prévue.
« Don’t Deal With the Devil » . On s’attendait à un bon jeu, et on a eu un petit chef d’œuvre répondant au doigt et à l’œil. Il s’avère capable de nous faire lever la nuit le temps d’un ou deux boss, mais aussi de se l’économiser pour ne pas en finir trop vite. Alors que la Xbox One peinait à convaincre qui que ce soit avec ses exclusivités temporaires et son Halo Wars 2 en 2017, Cuphead vient foutre le bordel dans mon appréciation de l’année pour cette machine. Si l’on n’est pas au niveau des plus grands jeux de cette génération, on est quand même en face d’un des indépendants les plus marquants de l’histoire de ce nouveau marché. Un régal pour les yeux, les oreilles, et le pad. De quoi réchauffer le cœur de chacun avec autant d’amour interactif.