Le RPG
Parler de RPG, et qualifier un jeu récent de « RPG », est beaucoup plus répandu maintenant qu’avant. Genre de niche noble d’une époque désormais révolue, avec de multiples références en tête, le RPG a perdu toute identité à force de voir ses éléments et ses caractéristiques bazardés dans tous les autres genres. Si j’écoutais la presse, ou même le public aujourd’hui, je serais probablement convaincu que le multijoueur de Call of Duty, le solo de Tomb Raider, ou même Farcry 3 sont des RPG. Or, je n’écoute plus grand monde depuis qu’on m’a appris l’existence du genre J-RPG. La belle affaire. Pour ma part, tous ces genres hybrides n’existent tout simplement pas, et devraient même se trouver l’appellation qui leur convient, en énonçant clairement qu’ils empruntent des éléments à une autre famille. Parce que oui, le jeu de rôle en jeu vidéo, ça existe, et cela se reconnaît à des éléments que je vais essayer de décrire.
Une définition ? J’adore les définitions !
Un jeu de rôle en jeu vidéo, selon moi, cela permet d’incarner non pas un rôle, mais la possibilité d’en incarner une multitude, de manière à être le plus exhaustif dans les possibilités. Un joueur de RPG doit pouvoir imaginer un caractère, une histoire, une personnalité, et retrouver en jeu un maximum d’éléments permettant de concrétiser sa vision de son personnage. Tout cela dans le but de lui permettre de l’intégrer dans l’histoire du jeu et son univers.
Dans un monde parfait, le joueur propose au jeu un personnage sans aucune concessions, et le titre propose suffisamment d’options pour que l’avatar du joueur s’y insère logiquement. Donc, nous sommes bien dans une logique qualitative, et non quantitative. Si dans un dialogue, vous n’avez que deux choix de réponse, impliquant une position manichéenne type « je vais être un parfait connard avec toi » ou « Oh mais non, je ne t’en veux pas d’avoir tué ma mère, je te pardonne ! » il y a déjà un problème qui se pose pour beaucoup d’archétypes possibles.
Pourtant, il faudra faire avec d’évidentes concessions. Déjà, parce que les concepteurs du jeu n’ont pas en tête tous les archétypes possibles et existants, mais ils n’ont pas non plus les ressources pour permettre à votre personnage de dire toutes les réponses du monde. D’autant plus si à la question « Chef que devons nous faire maintenant ? Nous sommes encerclé par l’ennemi ! » vous voudriez répondre « Cuillère« . C’est donc au joueur d’accepter les limites du développeur, et de faire avec en nuançant sa vision d’origine.
Cela peut donner à l’arrivée un résultat impressionnant, des personnages ayant fait des choses que leurs origines ne soupçonnaient pas. En clair : un échange entre créateur et joueur tout à fait intéressant. Échange qui ne peut exister que dans le genre du jeu de rôle justement. Pour moi, cette relation du personnage s’adaptant à un univers permissif, qui va même permettre au joueur d’interagir et de l’influencer, sont les bases solides et irréfutables d’un jeu de rôle.
Conclusion : un jeu de rôle, c’est créer un avatar personnalisé, un univers avec lequel on doit interagir, et avoir une influence réelle et constante. Cette interaction peut passer par beaucoup de choses, et pas uniquement par la modification des compétences de combat de l’avatar, ce qui exclue de base, énormément de jeu dit « RPG » de cette classification. Oui, on va commencer à couper des têtes… maintenant.
Ces « RPG » qui n’en ont jamais été
Final Fantasy, les hack’n slash (… c’est pas pour rien qu’on appelle ça des hack’n slash !), The Witcher (ouille)… Autant de titres ou de genres qui ne sont pas selon moi des RPG, mais qui n’en comportent que des éléments. Dans The Witcher nous incarnons Geralt De Riv qui a un passé, une histoire, une personnalité, qui s’adapte à l’occasion lors de dilemmes. Ce sont les seules véritables interactions poussées avec l’univers. Il n’y a donc pas de véritable emprise du joueur, si ce n’est trancher sur les décisions que Geralt peut prendre selon ses propres convictions. Ici, Geralt n’est modifiable que dans ses caractéristiques de combat et quelques très rares autres compétences sociales ou d’exploration.
On pourra aussi lui changer son équipement ; la personnalisation du héros passe quasi uniquement par le combat. Mais, comme le jeu propose quelques options de dialogues et une histoire poussée, il n’est pas relayé au rang de hack’n slash mais à celui d’Action / RPG. Une appellation bien pratique dans laquelle on retrouvera une immense armée d’hybrides qui, ne sachant pas ce qu’ils sont, ont tous trouvé que Action / RPG, ça sonnait cool et moderne. Alors qu’au fond, il ne s’agit après tout que de hack’n slash avec des dialogues et une histoire.
Ce n’est pas parce que tu tues différemment un pigeon de ton voisin que tu joues à un RPG, ami joueur. Le problème est que tu devrais tuer ce pigeon pour des raisons différentes de ton voisin, avant de réfléchir au fait que tu l’aies tué différemment. On se fiche bien de la forme de l’action. C’est son fond qui est intéressant. Fond suivi d’actes, eux même suivis de conséquences. On pourra me rétorquer qu’on peut jouer un Cloud, un Geralt ou autre protagoniste imposé selon nos idées…
… Mais il n’en reste pas moins que quoi que l’on fasse, les personnages avec lesquels ces héros interagiront ne feront finalement référence qu’à ces quelques actions que vous aurez accomplis. Le tout en ne prenant en compte que l’histoire imposée du héros et sa psychologie sur laquelle vous n’aurez jamais d’incidences. Vous subissez des choix directement imposés, vous n’en faites pas réellement, et c’est alors que la magie de l’illusion s’éloigne au profit d’interactions de surface, qui ne font que vous impliquer dans la narration. Telltale n’a donc rien inventé.
Et quand vous aurez fait le tri selon mes critères (… je dis bien, mes critères, hein, car je trouve que dans beaucoup de cas, « RPG » est un abus de langage), il ne nous reste plus grand chose à ranger dans cette catégorie. A force de travestir tout et n’importe quoi avec des éléments de RPG dedans, on en est arrivé à une situation où on peut dire sans honte que les jeux Ubisoft sont des jeux de rôle. Sans vouloir m’improviser comme le Darwin du jeu vidéo, que s’est-il passé dans l’évolution du genre pour qu’on en arrive à dire que des jeux d’action en monde ouvert sont des RPG ?
J’ai également dit – en m’amusant énormément – que Metal Gear Solid V : The Phantom Pain était un jeu de rôle, afin de souligner le n’importe quoi de la situation actuelle du genre. Je ne sais pas ce qui conduit la presse spécialisée à appeler tout et n’importe quoi un jeu de rôle. Passer d’un genre rare et élitiste à genre ultra-répandu s’est fait en quelque temps, parce qu’il y a tout simplement un problème d’identification. Faites-vous simplement à l’idée qu’un système d’amélioration et de personnalisation du héros ne transforme pas magiquement un FPS en monde ouvert comme Farcry 3 en RPG !
Le pire étant que les éditeurs et développeurs se servent désormais de cette incompréhension des codes du genre dans leurs campagnes publicitaires. Je me souviens encore de cette drôle de fois où l’on nous a vendu Rage comme un RPG. Un FPS semi-ouvert avec un peu de course dedans et une gestion de l’inventaire deviendrait donc un jeu de rôle parce qu’on peut ramasser des trucs ? Aucun doute, Mario est un jeu de rôle. Qui est l’empaffé qui lui a collé l’étiquette de jeu de plateforme ?
Ne pas confondre…
Maintenant que je me suis arrêté sur les vrais faux jeux de rôle (… tout bien réfléchi, rôle devrait être au pluriel d’ailleurs), pourquoi ne pas s’arrêter sur les jeux de rôle qui, d’après le paragraphe précédent ne devraient pas en être et qui pourtant en sont ? Parlons d’un jeu Spiders, parce qu’il est l’exemple typique d’une création d’avatar imposée et intelligente. Vous incarnez Roy Temperance dans Mars: War Logs, un homme qui a une histoire, un prénom et un nom. Jusque là on se dit « Ouais, c’est comme Geralt dans the Witcher » , sauf que non.
Le jeu entretien le flou sur une grande partie de son histoire ; lorsque le personnage parle de son passé, le jeu offre la possibilité au joueur de l’orienter dans plusieurs directions assez vagues afin de laisser une véritable liberté d’interprétation. L’histoire et le passé du personnage dessine des possibilités de jouabilité que le joueur pourra choisir de pousser ou non. Finalement, Roy Temperance n’est qu’une base de personnage immuable qui laisse toute liberté au joueur de créer au-dessus ce qu’il souhaite. Il en va de même pour l’Exilé de KOTOR 2, ou même le courrier du Mojave dans Fallout : New Vegas, de Michael Thortorn dans Alpha Protocol, ou même encore de Hawke dans Dragon Age 2… Sauf que tous ces personnages offrent une customisation physique, au contraire de Roy.
Et les jeux ayant un héros aux éléments imposés, mais laissant de la liberté au joueur, il y en a plein. Ils sont tous descendants des premiers vrais jeux de rôle PC. On pourra s’amuser à citer Fallout, Baldur’s Gate, Two Worlds, Gothic, Risen… Autant de pages vierges – ou peu occupées – ne demandant qu’à être noircies des choix des joueurs et de leur vaste imaginaire. C’est cela, le jeu de rôle : laisser le joueur construire un fond, qui impacte une forme, et qui donne à l’aventure une tournure unique et différente de celle d’un autre joueur.
Vous aurez beau proposer une centaine de fins à votre The Witcher 3 petits gars de CD Projekt, cela restera les centaines de fins de Geralt De Riv et son aventure, et pas les conclusions de vos joueurs. Après, je tiens à dire qu’un jeu n’a pas besoin d’être un jeu de rôle pour avoir quelques caractéristiques du genre, ou même pour être bon. Je me souviens avoir dit que Mass Effect 2 avait presque tué le KOTOR–like, mais il avait le bon goût de rester flou sur le passé du héros, car ce passé découlait de l’expérience du joueur sur le premier épisode… Ce qui fait de Mass Effect 2 un jeu de rôle plus convaincant que The Witcher 3… Aïe.
Car, pour en revenir à The Witcher et un fait amusant sur cette série, c’est que le premier épisode est un jeu de rôle qui fait fie de la saga littéraire, en prétextant un Geralt amnésique. Mais, le jeu vient petit-à-petit déposséder le joueur de l’histoire qu’il aurait pu inventer à son personnage, jusqu’à lui imposer une psychologie fixe, au mépris de ses libertés de joueur de jeu de rôle. Cela transforme au fur et à mesure un jeu de rôle, en jeu d’action / aventure avec quelques éléments de personnalisation physique. Le plus cocasse étant le fait que les suites du premier épisode n’ont eu de cesse de proposer davantage d’options de personnalisation d’équipement et de statistiques, alors qu’elles n’avaient de cesse de déposséder plus encore le joueur de son personnage. L’arrivée fut brutale avec un troisième épisode, où à part de vagues références au second opus, il ne restait rien du Geralt De Riv que le joueur avait pu bâtir à l’origine de la trilogie.
Mais alors, le RPG se meurt !
Oui. C’est un constat qui n’a cela dit pas grand chose d’alarmant. Le RPG mute pour devenir des mécaniques d’autres genres. On retrouve encore un peu de représentants sur la scène des jeux orientés PC, avec Pillars of Eternity, qui regarde peut-être uniquement en arrière, mais n’en reste pas un fidèle à son genre… tout en étant un jeu recommandable pour tout adepte des jeux de rôle à l’ancienne. On peut aussi citer les Shadowrun, Divinity : Original Sin, Wasteland 2 et… Dragon Age : Inquisition. Je me sens mal tout d’un coup…
Donc une mort lente et douloureuse, même s’il est vrai que la vague nostalgique pas si bénéfique que ça de Kickstarter semble retarder l’échéance. Le renouveau dans l’industrie du jeu qui respire les thunes, on peut porter son regard vers Mass Effect : Andromeda (… si une quelconque divinité nous écoute, faites qu’il sauve les meubles !) Elex et… The Technomancer. Un jeu que j’attends beaucoup parce qu’il est l’un des derniers à essayer d’être un vrai jeu de rôle sur toutes les plateformes, en proposant quelque chose d’ambitieux avec un habillage moderne et une vraie richesse. Mais en dehors de cela ? Peu sont les titres à me venir en tête, hormis le Torment : Tides of Numenera qui risque d’être un jeu rétrograde où on lira plus qu’on ne jouera réellement. Joie.
Mais, je ne suis pas convaincu de la viabilité du genre pour le grand public, étant donné que les jeux qui l’ont popularisé sont les premiers à avoir commis des écarts, et qui ont conduit à ce texte décrivant un bordel sans nom. L’avenir nous dira si le jeu de rôle en jeu vidéo est voué à disparaître, ou si un petit groupe de jeunots tel un CD Projekt s’élèvera envers et contre tous afin de proposer quelque chose. Je voulais garder une occasion de parler d’eux pour évoquer le projet Cyberpunk, qu’on attend tous au tournant en espérant y voir un vrai titre comme on en demande depuis longtemps. Un jeu innovant qui amènera avec lui un nouvel âge d’or du RPG, du vrai, avec une belle définition et de belles histoires au pluriel, à proposer à une multitude de joueurs tous différents.
Je pense avoir dit tout ce que j’avais envie de dire sur ma vision du RPG. Après, peut-être suis-je étriqué d’esprit et ne suis-je pas en mesure de comprendre l’obscure définition que semble donné les joueurs en parlant de RPG en englobant Fallout, Final Fantasy, Deus Ex Human Revolution et Diablo 3 ensemble. De toute façon, tant que l’on résonnera en termes quantitatif plutôt que qualitatif (la question n’étant pas « est-ce que c’est là ? » mais bien « à quel point est-ce là ?« ) tous les jeux avec un système d’amélioration deviendront des RPG. Sur ce, je vous laisse. Je m’en vais sur le multijoueur du RPG MGS V avant de plonger dans un jeu de rôle sur les voitures comme Forza Horizon 2, ou même Gran Turismo 6.
T’as oublié les jeux de sport dans les « nouveaux » RPG, puisque maintenant on peut créer son perso qui gagne de l’expérience et peut donc améliorer ses caractéristiques, genre shoot, drible, insulte à ton entraineur.
En fait, en y pensant, je me demande si de nos jours, il n’est pas plus compliqué (voir quasi impossible) de trouver un jeu ne se vantant pas d’avoir « de vrais morceaux de RPG à l’intérieur ».
J’allais dire Candy Crush Saga, mais je crois finalement qu’il y a une montée en level ^^
Bah c’est le but de l’article en fait, c’est de replacer le genre dans l’époque et montrer que le J-RPG, le Action-RPG, le dungeon-RPG et autres conneries ont définitivement rendu le genre complètement inidentifiable, hors la seule chose que fait un RPG et que ne fait pas un autre genre, c’est ce que j’ai décrit je pense. Ah et le J-RPG… Comment ça s’identifie à part le fait que c’est un jeu fait par des Japonnais ?