Francis Ingrand – Plug-in Digital / Playdius
A l’instar de mon salopard de chat à des heures complètement indues, je suis allé gratter à la porte de Francis Ingrand, afin de lui soumettre quelques interrogations. C’était donc l’occasion de donner la parole à un acteur de l’industrie française du jeu vidéo que je n’avais pas encore noyé de questions : les distributeurs / éditeurs. Au fil de cet échange, nous avons abordé son parcours, l’activité et la philosophie de Plug-in Digital et de Playdius, ainsi son point de vue sur le monde merveilleux de l’industrie vidéo-ludique. Ci-dessous, la retranscription de cet échange. C’est parti !
Salut !
Salut
Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Je suis Francis INGRAND, je travaille dans l’industrie du jeu vidéo depuis une vingtaine d’années, depuis toujours dans la partie distribution. J’ai commencé à travailler dans une startup internet qui s’appelait BlackOrange dans les années 98-99 et qui faisait du e-commerce un petit peu traditionnel. Après, j’ai monté la division jeux vidéo sur un site qui s’appelait alapage.com (ndlr : aujourd’hui sur rueduecommerce.com) auprès de Orange / Wanadoo. Ensuite, je suis parti chez Nexway, une société française qui fait du téléchargement de marque blanche, c’est à dire qu’on opérait des plateformes de téléchargement au nom des partenaires ; on était assez invisibles pour le client lambda. Et donc il y a six ans, j’ai décidé de monter ma propre société, Plug-in Digital, spécialisée dans la distribution et l’édition de jeux premium, au départ sur PC, puis après on a élargi sur console, mobile. Aujourd’hui, on est vraiment capable d’être sur toutes sortes de marchés.
Quand tu utilises le terme « premium » , c’est par opposition au free to play ?
Oui, parce que je considère que c’est vraiment un autre métier. Le freemium, c’est d’autres logiques financières, d’autres logiques marketing, et je considère qu’on n’a pas l’habileté, les connaissances, et la valeur ajoutée pour amener ça à nos partenaires. Nous, notre force, c’est vraiment la distribution, la communication, les relations presse ; c’est pas dépenser x en acquisitions pour que ça rapporte y. Personnellement, ce n’est pas ce qui m’amuse, et ce n’est pas notre force ; ce n’est pas comme ça que la société s’est construite.
Et quelle était justement l’idée fondatrice de Plug-in Digital ?
L’idée de base, c’est qu’à l’époque, soit il y avait des éditeurs traditionnels qui prenaient énormément de marges et qui n’y connaissaient pas grand-chose, soit il y avait la possibilité de tout faire soi-même. Entre les deux, il n’y avait pas grand chose qui existait pour les petits et moyens studios, en sachant que tout faire tout seul c’est compliqué. L’idée c’était de se positionner là-dessus, et d’être capables d’amener à nos partenaires des solutions clé en main où on va être capable d’optimiser toute la partie distribution et business development pour eux. L’idée de fond était de constituer un catalogue suffisamment puissant et pouvoir peser avec un vrai poids, avec Steam, Amazon, etc…
Effectivement, dans ce catalogue, il y a aussi bien des gros studios que des indépendants ; de Konami à Kiro’o Games, il y a un gros gouffre entre les deux…
… C’est voulu. De la même façon, on a tous types de jeux, et c’est très important pour nous parce qu’on a besoin d’avoir des jeux qui correspondent à tous types de clientèles, à toutes options marketing qu’on voudrait faire, à toutes les tranches d’âge. C’est important d’avoir un catalogue très large, très exhaustif, avec des gros studios et des petits indé, des jeux d’aventure, d’action, du jeu casual, de sport, etc…
En parlant de Kiro’o, comment s’est passé la rencontre avec Olivier Madiba ?
Par hasard, en fait. Au départ, on les avait contacté lorsque le jeu était en Greenlight, et à l’époque on avait vocation à développer un pôle de publishing. On avait trouvé que le projet était intéressant, de par sa genèse, de par le sujet, de par le jeu africain. On avait envie de les aider, et je lui ai envoyé un mail. Il m’a répondu, on s’est parlé, y’a eu un bon feeling, et on a décidé de travailler ensemble. C’est comme ça que Aurion a été un des premiers jeu qu’on a signé en édition ; on a géré le Kickstarter pour eux, et après on l’a sorti commercialement parlant. Ça s’est fait un petit peu par hasard.
Toi qui es en contact avec toutes les plateformes dématérialisées, comment as-tu vécu l’évolution du mastodonte qu’est devenu Steam, qui écrase un peu tout le monde ?
J’ai toujours été assez… sidéré, par le manque de clairvoyance de certains gros éditeurs, de certains gros distributeurs type Gamestop ou Micromania, d’avoir laissé Steam se développer sans voir ce qu’il y avait derrière. Si Steam en est là aujourd’hui, c’est grâce à certains gros éditeurs qui, par manque d’envie / fainéantise / facilité, ont utilisé le DRM et les options Steam pour développer leurs jeux. Ça leur a permis de développer leurs jeux un peu moins cher, mais ils se retrouvent aujourd’hui prisonniers de Steam parce qu’il a pris une place énorme sur le marché. J’ai toujours été surpris de voir à quel point tout le monde a été un peu naïf…
… Y’a pas eu du tout d’anticipation du truc en fait.
A part peut-être Electronic Arts et un peu Ubisoft… Et bien sûr Blizzard, mais eux l’ont compris bien avant. Des gens comme Take Two ou Rockstar, va pas me faire croire qu’ils n’avaient pas les moyens de faire leur propre système à la Blizzard pour GTA. Bah voilà, désolé, y’avait rien de compliqué vu qu’il n’y avait quasiment pas de online, et c’était assez facile.
Au-delà de l’aspect DRM, à l’époque, il y avait aussi l’aspect dématérialisé où il y avait quasiment que la FNAC en fait…
Exactement. Il y avait surtout le FNAC, et à l’époque il y avait quelques acteurs comme Direct2Drive. GOG aussi. Il n’y avait pas d’acteurs dominants, et d’autres auraient pu se développer s’il n’y avait pas eu un Steam ultra-puissant en face.
Steam, et ce n’est plus vraiment à démontrer, a un côté « attrape-tout » où il n’y a pas vraiment de filtres. Sauf que c’est à double tranchant pour tous les acteurs de l’industrie finalement ?
Bien sûr. Aujourd’hui, le store est floodé, et mêmes les gros voient leurs chiffres de vente baisser par rapport à ce qu’ils avaient il y a un an. Il n’y a plus assez de visibilité. Avant, être featuré sur Steam, ça avait un vrai impact ; c’était énorme. Aujourd’hui, être featuré sur Steam en homepage, même ça, ça a un impact relativement limité comparé à un an ou plus…
… Faut brasser pas mal de vent à côté de Steam pour avoir justement cette visibilité ?
Exactement. Donc voilà, j’ai toujours été étonné par le manque de clairvoyance de certains. Après, Valve a fait un super boulot. Techniquement parlant ils sont irréprochables. Ils ont fait un boulot extraordinaire, et faut au moins le reconnaître. Mais s’ils en sont là, c’est parce qu’ils ont eu un boulevard. Microsoft, à un moment donné avec leur Windows Store ils ont tenté quelque chose, mais comme souvent avec Microsoft, ça explose en vol.
Ils tentent malgré tout quelque chose en uniformisant les accès ; ce qui est disponible sur Xbox l’est aussi sur PC, et ça, il y a encore quelques années, je suis à peu près certain que c’était même pas envisageable chez eux, un peu comme Sony qui commence à s’y mettre avec le PS Now..
… C’est vrai ; c’est pas encore ça, mais ça va dans le bon sens. Le problème, c’est que ce sont des boîtes qui sont très lentes et la force de Steam, c’est cette agilité qu’ils ont su garder.
Bon, c’est clair que le catalogue Steam est un véritable foutoir, mais le marché mobile, ce n’est pas franchement mieux pour autant…
… Le marché mobile, ce n’est pas mieux. C’est même pire… Enfin, oui et non. Il faut distinguer Google et Apple. Apple fait un vrai travail d’épuration sur son Apple store ; ils ont mis des moyens, ils ont des équipes dans beaucoup de pays pour parler aux devs, pour regarder les jeux qu’ils ont soumis et les featurer. Là, pour le coup, le featuring Apple a un vrai impact sur les ventes, et c’est encore plus vrai sur le premium que sur le freemium. Ils font un vrai travail professionnel d’épuration et de mise en avant ayant un réel impact, ce que ne fait pas du tout Google où c’est beaucoup plus open bar. Autant tout le monde peut mettre ses jeux sur ces deux plateformes, autant Apple et Google ont deux approches totalement différentes sur la manière dont ils accompagnent les développeurs.
Même Microsoft et Sony avaient beaucoup plus de filtres par le passé vis-à-vis de l’entrée au catalogue…
… Y’en a quasiment plus en fait. Même Nintendo, ils sont beaucoup moins regardants qu’ils ne l’étaient à une époque.
Est-ce qu’il y a une demande d’un peu tous les acteurs de l’industrie pour remettre quelques verrous ou filtres, ou est-ce que finalement cela revient à pisser face au vent parce qu’il n’y a pas d’écoute ?
C’est juste brasser du vent, parce que les consoliers font ce qu’ils veulent. Voilà. Ils s’en foutent un peu de ce qu’on pense, ils ont leur propre stratégie, et aujourd’hui, tout le monde va vers une stratégie d’ouverture. Le problème, si tu veux, c’est que tant que ce n’est pas ouvert, ceux qui n’arrivent pas à rentrer gueulent. Et quand c’est ouvert et que tout le monde peut rentrer, tous les autres gueulent. De ceux qui ne peuvent pas rentrer certains s’en sortent très bien, alors que ceux qui étaient déjà rentrés étaient déjà dans un certain confort.
Tout ça, parce que, finalement, cela répondait aussi à une certaine attente de consommateurs, ce qui n’est pas moins étonnant lorsqu’on voit le backflip à ce niveau-là, où c’était le piratage de masse il y a encore quelques années, et que c’est devenu de la consommation compulsive de nos jours.
C’est un peu le grand écart. Il n’y a pas de solution parfaite et c’est une industrie qui bouge très très vite. Il faut s’adapter et tout le temps se remettre un peu en cause pour durer. Il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers en se disant « Bon bah moi j’ai fait ça c’est bon, ça tourne, on laisse pisser » . Ça, c’est pas possible.
Ouais, ça finit par se casser la gueule sinon. Pour en revenir à Plug-in Digital, qui est une société en pleine croissance, quel serait son modèle de développement, d’évolution ?
Par facilité, on peut dire un peu… Focus Home Interactive, dans l’approche notamment. Par contre, ça reste un pur éditeur, même s’ils ont fait un peu de distribution boîte à une époque. On pourrait se rapprocher un peu de ça. C’est une société très indépendante, même si Focus a un actionnaire fort depuis toujours – ce qu’on avait pas forcément, nous. Il y avait un actionnariat extrêmement stable, quasiment unique, avec une vision d’entreprise assez claire et un choix de jeux autant assumé que marqué. Bon après, on ne se compare pas à Focus, mais c’est clair que ce n’est pas un mauvais modèle d’inspiration.
Et comment sont choisis les jeux soutenus ; ce sont les studios qui sont venus vers vous, ou c’était surtout de la prospection sur des jeux que vous aviez sélectionné parce que vous vouliez vraiment les soutenir ?
Les deux. Il y a des gens qui viennent nous voir avec des projets qui nous plaisent, et on signe. A l’inverse, c’est des choses qu’on voit sur les salons ou sur le net, on les contacte et ça se fait. C’est vraiment variable et il n’y a pas de règle. Je dirais, à la limite, qu’on sache faire l’opération, les niveaux financier et le temps qu’on ait à y consacrer. On est bien évidemment de plus en plus connus, surtout en France, et les développeurs ont plutôt tendance à venir naturellement vers nous. Ça c’est super, mais il n’y a pas vraiment de règle et je crois que c’est le cas pour tout le monde ; y’a des entrants, des gens qu’on rencontre par hasard, des choses qu’on va chercher parce que ça nous plait vraiment d’avoir. C’est le cas de A Normal Lost Phone ; on se connaissait, mais on a vraiment pushé pour éditer ce jeu, par exemple. On avait vraiment envie de travailler sur ce jeu, et grand bien nous en a pris.
Justement, il y’a une vraie volonté et envie de rester sur le marché mobile ?
Alors, maintenant, absolument, tu as raison. C’était quelque chose qui n’était pas forcément évident au départ. A Normal Lost Phone c’était un petit peu un test et on a finalement trouvé notre voie sur mobile avec des jeux narratifs, avec A Normal Lost Phone donc, Another Lost Phone et Enterre-moi mon amour. Du coup, on se retrouve avec plein de gens qui viennent nous pitcher des jeux narratifs, des choses parfois très intéressantes et effectivement, le plan pour 2018 c’est de continuer sur cette voie, en sortant 5-6 jeux premium…
… Plutôt sur l’Apple store, donc ?
Apple store et Google, on fait les deux. On est très fort en distribution et l’intérêt sur Google, c’est qu’on peut aussi distribuer les jeux auprès des opérateurs. De plus en plus, je pense qu’on fera des exclusivités Apple, pour quelques semaine ou quelques mois, mais l’idée c’est de sortir sur les deux plateformes. Donc, on va continuer sur la partie édition de jeux mobile dans les mois qui viennent, c’est sûr et certain.
Les exclusivités définitives, je n’y crois plus de toute façon…
Non, ça n’a plus vraiment de sens.
Bon, tu avais déjà un peu répondu à la question que je voulais te poser ; à travers le catalogue, je ressens davantage un intérêt par rapport aux concepts plutôt qu’à la solidité de l’investissement. Une envie de challenger à l’avenir Focus dans le domaine des AA ?
Encore une fois, on ne se compare pas à Focus, mais l’idée c’est bien de monter en gamme, en termes de qualité de projets, et donc de potentiel commercial. On va le voir l’année prochaine, parce qu’on a vraiment de beaux projets, dont Dead In Vinland qui est encore mieux que Dead In Bermuda et dans lequel on croit pas mal. Il y a Strikers Edge qui est prometteur. On a Away, le fameux jeu d’Aurélien REGARD (ndlr : aussi auteur de The Next Penelope), qui va sortir en Q2 et qui est pas mal attendu ; c’est peut-être même le jeu le plus attendu que l’on ait. On a signé pour 2019 un jeu qui n’est pas encore annoncé mais qui est un très gros jeu, le plus gros jeu qu’on ait jamais fait, où on ne se situe pas au niveau du AAA, mais on se rapproche plutôt d’un AA. Pour nous, c’est une marche importante…
… C’est sur quel jeu ?
C’est un jeu qu’on n’a pas encore annoncé, mais on communiquera dessus autour du mois d’avril 2018, et officiellement, au niveau international, à la Gamescom. Tout ce que je peux te dire, c’est que c’est de la stratégie tour par tour. Donc au final, on va vers une montée en gamme, même avec Accidental Queens, avec qui on travaille beaucoup et qui ont fait A Normal Lost Phone, qui ont un projet un peu plus ambitieux. En mobile, on a Ana The Game qui a gagné le Ping du meilleur scénario aux Ping Awards 2017 et qu’on va sortir en version finale en début d’année prochaine. Ça ne nous empêchera pas de continuer à faire des paris, bien sûr, mais sur des jeux plus petits.
Avec le label Playdius, qui a été créé cette année, c’était principalement pour différencier l’activité de distribution de celle d’édition ?
Exactement. Pas mal de gens mélangeaient un peu les deux, donc l’idée c’est de marquer un peu plus la différence entre les jeux qu’on distribue, dont certains éditeurs, et les jeux qu’on édite, qui sont moins nombreux. Plug-in Digital n’a pas vocation à parler au grand public, contrairement à Playdius qui est une marque dont c’est justement la vocation. Le but c’est de vraiment communiquer sur l’édition avec la marque Playdius, d’inviter les gens à nous suivre, à regarder ce qu’on fait et de se reconnaître un peu dans notre approche et nos choix éditoriaux.
C’est aussi pour ça que The Sidekicks a été absorbé, pour démultiplier la force de frappe de communication et de marketing ?
C’est ça. Guillaume Jamet, qui était le dirigeant de The Sidekicks, nous a rejoint en tant que directeur marketing avec sa vision et séniorité. C’est vrai que, à part moi dans l’équipe, c’était plutôt junior, et il nous amène une certaine séniorité qui nous manquait par moments. Tout ça, ça va dans le bon sens, ça nous rend plus forts, ça nous permet d’être meilleurs, de faire plus de choses, et donc de prendre plus de risques, d’aller chercher des jeux, de se rapprocher peu à peu, comme tu disais entre guillemets, de jeux du genre de ceux de Focus.
Et comment se passe la collaboration avec les studios de développement ; Playdius s’immisce dans le cahier des charges des jeux, ou est-ce qu’il laisse carte blanche ?
Carte blanche ! On signe des jeux ou des projets de jeux, on fait confiance aux créateurs et on s’interdit de s’immiscer dans la production de jeux. On le fait de façon très légère mais on rentre très peu là-dedans ; à travers la confiance aux créateurs, on les suit dans leurs idées. Si on signe un jeu tel qu’il est ou tel qu’on nous le vend, on va pas chercher à tout changer, à tout refaire, pour mieux coller au marché.
C’est plus une notion de conseil finalement ?
Ouais. On est vraiment dans le conseil, l’accompagnement…
… Il y en a eu un bon d’ailleurs, de conseil, à C.C.C.P. : proposer une démo. Mathieu Richez nous disait qu’à la base il n’était pas chaud, mais que vous aviez réussi à le convaincre.
Et ça a tout changé sur Dead In Bermuda. Le jeu était vraiment très bon et il y a assez peu de jeux de ce type. C’était un bon moyen de se différencier.
Et pourtant, les démos, contrairement à une autre époque, ce n’est plus la norme.
Le truc, si tu veux, sur Steam, maintenant, tous les jeux sont des démos, puisque si t’achètes le jeu, tu peux te faire rembourser si t’y joues moins de deux heures. N’importe quel jeu, si tu veux le tester, ben tu peux faire comme ça.
En se positionnant entre guillemets sur de petites productions, la durée de vie peut correspondre au budget. Par exemple, j’avais rencontré les gars de Ocelot Society, ceux qui ont fait Event[0]. Ça te parle ?
Ouais !
Finalement, ce jeu-là, si on veut, en moins de deux heures il est torché…
C’est un problème, et c’est quelque chose qu’on pointe du doigt assez régulièrement. C’est un risque pour le dev’, et pour nous, d’avoir beaucoup d’annulations. Pour moi, le problème d’Event[0] est qu’ils avaient mis le jeu trop cher. Y’a une corrélation entre prix de vente et durée de vie. Sur A Normal Lost Phone, qui dure 2-3 heures grand maximum, on l’avait mis à 3 €. C’est beaucoup plus en adéquation, et dans une moindre mesure, y’aura moins de remboursements. T’as payé 3 €, t’as pris du plaisir, et ça limite un peu plus le problème.
En ce qui concerne les modèles économiques, quel est ton positionnement par rapport aux DLC d’une part, et des micro-transactions d’autre part ?
Par rapport aux DLC, je ne suis pas fermé ; s’il y a du vrai contenu additionnel, ça a du sens de faire des DLC sur certains jeux. Dans ce cas-là, je trouve ça plutôt bien, parce que ça permet de prolonger l’expérience de jeu. Même à titre perso, des jeux que j’aime bien, ça m’arrive d’en prendre s’il y a vraiment du contenu ; si c’est pour avoir trois épées et boucliers en plus, non, mais si ça ajoute de la durée de vie, c ‘est une bonne chose. En ce qui concerne les micro-transactions, nous on est plutôt dans le premium, et ce n’est pas trop notre truc, mais ponctuellement, je ne suis pas forcément contre, pour rajouter par exemple un peu de cosmétique ou des choses comme ça. Je ne veux juste pas que ça favorise des joueurs plus que d’autres. Ça doit rester de toute façon, à mon avis, relativement light en termes de pression commerciale.
Et selon toi, qu’est-ce qui a poussé le marché à adopter aussi vite un modèle économique comme celui des jeux-services, où il n’y a même pas eu dix ans entre la démocratisation des DLC et cette nouvelle philosophie ?
Tout simplement : la rentabilité. Aujourd’hui, les gros éditeurs mondiaux veulent faire toujours plus d’argent, ils ont toujours plus de croissance, ils lancent toujours plus d’argent dans le développement et le marketing. Donc, ils ont simplement fait leurs calculs et ont vu que la rentabilité était meilleure avec des micro-transactions plutôt qu’avec des simples DLC. C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui dans l’industrie, il y a toujours plus de suites, donc c’est toujours plus difficile de convaincre les gens d’acheter le dernier FIFA, le Football Manager, le NBA, avec peu de changements d’une année sur l’autre. Pour ce modèle des jeux annualisés, c’est parfait, parce que tous ceux qui jouent à FIFA ont envie de jouer avec le Neymar qui est au PSG et pas le Neymar qui est à Barcelone. Sur les jeux de voiture, c’est pareil. Certains types de jeux s’y prêtent bien. Effectivement, je pense que dans le futur, comme le disait le monsieur d’Electronic Arts, le FIFA, on ne l’achète plus ; c’est davantage comme un abonnement Netflix…
… Le PS Now, c’est totalement ça aussi avec leur système de jeux en streaming.
Ouais.
Pourtant, les modèles économiques sont de plus en plus pris en considération par les joueurs, ce qui était peut-être moins le cas avant, avec par exemple dernièrement EA et le Star Wars Battlefront II ; à force de tester des nouveaux modèles, l’industrie risque finalement de lasser les joueurs…
Il y a en effet un vrai risque de se mettre la communauté à dos. On l’a vu avec EA, surtout avec une licence comme Star Wars, où la communauté attendait le jeu et était à fleur de peau. Faut faire très attention. Ça a fait un peu moins de bruit, mais on travaille pour Paradox ; Paradox avait modifié des règles de prix à un moment, et c’est des gens qui sont très proches de leur communauté, et au final, ils ont fait machine arrière. Ils s’étaient vraiment faits tancer par la communauté sur leur nouvelle politique de prix, notamment dans les pays émergents. Au final, ils se font plus d’argent sur les mêmes jeux, mais c’est au détriment des joueurs. Avant, on pouvait jouer 50-60 heures pour 20 €, mais ce sera de moins en moins vrai malheureusement ; si tu veux jouer pendant 50-60 heures, va falloir débourser plus. Après si tu compares ça avec un film, tu regardes un film pour 5 €, t’en a pour deux heures, et tu vas pas y revenir trois fois. A ce niveau, le jeu vidéo est plus rentable pour le joueur, mais ça tend à changer, ou au moins à s’estomper en tout cas.
Avec la mise en place de… Netflix du jeu vidéo, avec du jeu vidéo en streaming, est-ce que tous les acteurs (ou au moins les développeurs et éditeurs) s’y retrouvent financièrement ?
Oui et non. Non, parce qu’aujourd’hui, ce sont des plateformes qui ont peu d’utilisateurs ; ça ne génère pas des sommes extraordinairement élevées. L’abonnement a malgré tout une vertu : je trouve que c’est assez complémentaire avec la distribution classique, et l’abonnement va amener des rémunérations plus lissées dans le temps.
Autre aspect du financement : la France pourrait-elle avoir un tel écosystème de studios de jeux vidéo, des tous petits aux assez gros, sans toutes les perfusions d’aides publiques ?
Han han… Pour moi, cela va sans dire. Que ce soit dans le cinéma ou le jeu vidéo, ça ne peut exister sans les aides publiques qui permettent à des jeunes studios de défendre des projets, et d’avoir accès à de l’argent public ou parapublic. On pourrait faire sans, mais il y aurait moins de prises de risque, et certainement moins de studios qui émergeraient. Sachant que le CNC, pour le jeu vidéo, c’est 3 millions d’euros, sur plus de 700 pour le cinéma. Et on parle d’argent public, oui et non, parce que le CNC c’est des taxes qui sont prises sur les entrées de cinéma, donc c’est pas directement nos impôts (… même si ce sont des taxes). Mais c’est clair que c’est une goutte d’eau pour le jeu vidéo. Même le crédit d’impôts est assez faible, et on va voir ce que ça va donner avec la réforme.
Pourtant, ce n’est pas quelque chose qui monte en puissance ?
Si si, tout à fait, mais on verra où ça va. Aujourd’hui, c’est assez limité, mais c’est vrai que le crédit d’impôts a cette vertu d’aider des jeux de plus grosse taille, et ça va permettre à la France de développer et d’avoir des studios capables de faire des AAA, car on en a assez peu. Ça va faire émerger quelques studios, mais ça va aussi permettre de garder de l’emploi en France versus Canada et autres. Dans cette compétition mondiale, si on n’avait pas de crédit d’impôts, ce serait des milliers d’emplois qui partiraient. C’est pas tenable malheureusement.
C’est une prestation que vous pouvez assurer en ce qui concerne le montage de ces dossiers d’aide ?
Alors, oui, avec Playdius. On ne monte jamais les dossiers complètement, mais on est dans l’accompagnement dans les jeux qu’on édite. Pour les jeux qu’on distribue, on va plutôt avoir un rôle de conseil amical, en donnant notre avis et en faisant un retour.
Dans les catalogues, ou alors j’ai mal vu, mais je n’ai pas trouvé de jeux VR ou de réalité augmentée ; pour toi, c’est un secteur qui n’a pas encore d’avenir ?
C’est ça, exactement. J’estime qu’on n’est pas là pour prendre ces risques en défrichant le terrain. on était pas dans cet esprit de faire un jeu VR pour un chèque de Facebook, ou Samsung, ou je ne sais qui, tout en sachant pertinemment que le jeu ne se vendrait pas. Aujourd’hui, on n’a pas de jeux VR parce que pour moi, il n’y a pas de logique économique derrière. On va en avoir peut-être un peu plus en 2018, mais ça reste pour la plupart des expériences. C’est vraiment pas des choses sur lesquelles on fait un focus aujourd’hui.
Et pourtant, paradoxalement, y’a des gros investissements derrière la VR, sans pour autant proposer quelque chose qui envoie du rêve.
C’est clair ; on n’est vraiment pas dans cette logique-là.
Eh bien j’ai fait le tour des questions que je voulais te poser. Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Eh bien, j’espère que tes lecteurs auront la curiosité de voir ce que Playdius fait, ce que l’on a fait et ce que l’on fera, et adhéreront à nos prises de risque ainsi qu’à nos choix éditoriaux, tout en appréciant nos jeux bien évidemment. C’est tout ce qu’on peut espérer : qu’il y ait de plus en plus de gens qui nous suivent et s’intéressent à ce qu’on fait.
Allez, va, je vais mettre un petit lien vers le catalogue Playdius ! Merci à toi d’avoir répondu à nos questions, et bonne continuation !