Else Heart.Break()

Else Heart.Break() est le premier jeu majeur de l’équipe du suédois Erik Svedäng. Sorti fin 2015 en téléchargement, il se vend comme (… sans rire) « Un jeu sur l’amitié, l’amour et la technologie, dans un monde où les bits ont remplacé les atomes« . Passé assez inaperçu, il semble pourtant cacher derrière une apparence un brin naïve, à l’esthétique colorée dans la mouvance « revival synthpop« , certaines particularités qui le rendent remarquable à plus d’un titre… Amis nerds un brin hippie dans l’âme, venez-donc voir par ici !

 

Au boulot !

Coup de chance pour Sebastian, un jeune homme sans histoire : le jour de son anniversaire, on l’appelle pour lui proposer un premier boulot ! Rien de très excitant, puisqu’il devra vendre des canettes d’un soda dégueulasse sur une île à l’autre bout du pays, mais c’est toujours ça de pris. Sebastian (… qui préfère qu’on l’appelle Seb) quitte donc le domicile familial et embarque pour Dorisburg, où il logera dans un hôtel miteux beaucoup trop cher, en attendant de rencontrer son employeur. Malheureusement, le type en question n’est pas spécialement du genre prévoyant ; pas moyen de le contacter, et il se balade un peu sans prévenir dans toute la ville. Encore faudra-t-il le trouver pour commencer une première journée de boulot…

La majeure partie du jeu se déroule dans cette ville ouverte, d’une superficie assez réduite, mais très riche en rencontres et possibilités d’action. En attendant de dénicher votre employeur, vous vous baladez, prenez vos marques dans une ville aussi grise, triste et monochrome qu’un loriquet à tête bleue. Trêve d’humour ornithologique, l’esthétique et l’ambiance tiennent du Hotline Miami pacifique. Peace and love, man. Les couleurs pètent dans tous les sens ; c’est très chargé… et tout cela dans une interface rose pétant. La bande-son très convenable de El Huervo (… Hotline Miami, je vous disais) finit de compléter l’arc-en-ciel avec une bonne dose de psyché des eighties.

C’est rigolo à parcourir, ça change, mais c’est limite fatiguant à la longue.

 

Dorisburg, ville dynamique

Bon sinon, comment ça se joue ? Concrètement, Else Heart.Break() est un jeu d’aventure openworld en vue isométrique. La jouabilité est étrange ; c’est une base point’n click très classique, que l’on retrouve sur la majorité des RPG isométriques 3D. Mais… c’est fichu un peu bizarrement. Outre la caméra de toute façon mal pensée, on possède un sac à dos qui fait office d’inventaire totalement textuel. Pour utiliser un objet, il faut le prendre en main ; toute une liste d’actions possibles sur ou avec l’objet s’affichent alors.

Tout semble laborieux… Même si cela paraît assez naturel au clavier/souris sur le papier, on ne s’y fait jamais vraiment. Tous les efforts du monde ne masquent pas la lourdeur de l’ensemble – difficile d’ailleurs de la retranscrire par écrit, et cela, sans parler du résultat parfois approximatif de certaines actions. Si vous avez réussi à reposer le combiné sur le téléphone au début du jeu, écrivez-moi !

Il faut préciser, ceci dit, qu’il est de toute façon difficile de multiplier les interactions sans en multiplier la lourdeur. Pour ma part, c’est un prix que je suis prêt à payer si cela peut limiter au maximum les actions contextuelles. Parce que ce détail, ce côté « ouvert » des actions, est un premier contact avec la philosophie très ouverte du jeu. Le bébé d’Erik Svedäng a une conception de la liberté d’action qui lorgne plus du côté d’un Fallout (les vrais vieux) que d’un Skyrim. Le panel d’actions à votre initiative, la simu qui ne pardonne pas et dépend autant des autres PNJ que de vous, plutôt que le pouvoir suprême de pouvoir se balader, n’importe où n’importe quand, envers et contre tous. On a presque affaire à un univers persistant.

Dans Else Heart.Break(), vous faites ce que vous voulez, mais les autres aussi. Le moindre personnage vit sa vie, et a sa propre routine. Personne ne vous attendra éternellement, et faut faire avec. L’heure avance, les événements et les gens ne vous attendront pas… mieux vaut prendre des notes pour s’y retrouver. Cette philosophie assez particulière fait que la réussite – principalement dans la première partie du jeu – est surtout due à la chance. Ou on trouve la bonne personne du premier coup, ou on galère et on se paume. Seb devra demander son chemin aux passants pour espérer suivre un peu.

C’est assez excitant sur le papier, mais laborieux en pratique. Vous allez glander en recherchant désespérément par où continuer l’aventure. Vous vous demanderez si vous n’avez pas loupé les quelques heures où untel passait dans le coin. Untel ? Ouais, le type à qui vous devez certainement causer, dont vous avez perdu nom et lieu d’habitation dans l’incommensurable bordel de vos notes manuscrites IRL. Vous auriez dû écrire plus proprement et organiser vos affaires ! Ah, ces jeunes, de nos jours…

Vous allez (… ce n’est pas une supposition) vous retrouver dans une situation apparemment inextricable, ramer, à ne plus savoir que faire pour avancer. On s’y perd ! Vraiment, tout le temps, partout. Dans les rues visuellement surchargées où l’explosion de couleurs diverses dessert la lisibilité, dans les objectifs qui se perdent dans une masse pourtant pas si conséquente… Une soluce ne pourra même pas forcément vous débloquer étant donné la nature « libre » des PNJ.

En attendant d’avancer, vous passerez de rencontre en rencontre. Pas mal de jeunes – aux fringues sponsorisées par Dragibus pour rester dans le thème – traînent des les rues et bâtiments de Dorisburg. Une bonne occasion de se faire des potes. Et de se faire embarquer jusqu’à pas d’heure dans des soirées où l’on ne connaît personne, où l’alcool coule à flots, et où on se pète les oreilles sur une musique électro. Et vas-y qu’on flirte avec cette fille, là bas, pas trop mal roulée, qui se marre avec ses potes. Elle a un mec ? Rien à fiche. Ce type vaut rien de toute façon ; je lui ai pété son score sur la borne d’arcade du bar. Et forcément, on finit par terre en milieu de soirée, parce que c’est toujours comme ça que ça se termine.

 

ENTER THE MATRIX

Vous l’aurez compris, c’est bien l’ambiance vendue par le slogan du jeu – fêtes de jeunes alcoolisés, l’amitié, l’amour, les câlins, les champignons magiques qui font rigoler, le piratage informatique… Non-non, pas d’erreur, vous allez comprendre. On se rend rapidement compte que Dorisburg est un rien… étrange. Y’a des PC partout. En plus, des choses un peu bizarres s’y passent ; qui sont réglées en deux coups de cuillère à pot (… et en une nouvelle explosion de couleurs) par des techniciens capables de réparer à la fois portes et lampadaires grâce à un petit outil bien pratique. Outil sur lequel vous finirez par mettre la main. Et c’est là, au bout d’une durée qui dépendra de vous (… et beaucoup du hasard) que le jeu prend tout son intérêt.

Le fameux appareil permet de pirater. De TOUT pirater; du PC à la canette de bière. Au fur et à mesure de l’évolution de l’objet, Dorisburg devient autre chose qu’une île. Elle devient un terrain de jeu où tout est manipulable, détournable. Alors que la liberté que permettait le jeu jusque-là était déjà sympathique, elle devient carrément vertigineuse. Avec cette ouverture des possibilités, l’aspect « chasse aux informations », d’important, devient primordial. Vous n’avez pas fini de gratter du papier. Infos, noms, bouts de code, variables, etc… C’est grâce à toutes ces données que vous allez pouvoir plier l’univers entier à votre volonté. Forcément contraignant, mais cela vaut le coup.

Vos armes pour ça ? Un langage informatique simple, écrit spécialement pour le jeu : le SPRAK. Eh ouais, pas de QTE ou de trucs à relier pour hacker. Ici il faut vraiment taper des lignes de code, réécrire un nouveau comportement à chaque objet. Faut forcément fouiller, se renseigner, et étudier un peu par soi-même pour pouvoir l’exploiter pleinement. Mais, le langage est suffisamment bien pensé pour le rendre accessible à n’importe quel non-programmeur patient et / ou un peu nerd sur les bords. Les plus courageux pourront même s’intéresser au GRIMM, deuxième langage créé pour l’occasion, destiné lui à une approche plus modding du jeu.

En fait, on ne joue pas au jeu, mais AVEC. Littéralement. Tout l’intérêt est de ne pas suivre les règles établies. Et c’est franchement cool. Else Heart.Break() est le sandbox à l’état pur. C’est grisant d’apprendre par soi-même les règles d’un univers pour mieux les briser ensuite, de redécouvrir l’expérimentation libre dans un jeu vidéo, de changer comment marche un objet donné « juste pour voir ce que ça fait ». Ou pour vous faciliter la vie par la suite. Le fun dans Else Heart.Break() vient de la réflexion sur comment trouver la solution la plus élégante (… ou rigolote) au moindre problème.

 

Des cerises moisies sur un délicieux gâteau

Par-dessus tout cela, il y a bien une histoire qui fait office de fil rouge. Elle se laisse suivre sans souci, sans être passionnante pour autant, mais est malheureusement un peu trop rigide par rapport au reste. Elle n’exploite pas tant que ça le hacking et supporte mal les altérations. Un peu dommage… Le jeu échoue – et c’est ni le premier ni le dernier – à cumuler histoire forte et monde ouvert. C’est un vrai problème du jeu ; le gameplay ouvert et le côté « meta » font que l’identification au personnage en prend forcément un coup, surtout que Seb a un charisme de vendeur de machine à laver… et que les autres PNJ ne sont pas franchement mieux. Sebastian devient une simple interface entre nous, joueur, et Dorisburg qui n’est plus qu’un jouet trop coloré.

L’écriture n’est en plus de cela pas terrible, et cela est certainement dû à une traduction très, très moyenne (… du suédois vers l’anglais) ; les personnages ne parlent pas de manière naturelle. En fait, sans qu’il soit évident de mettre la main sur la raison précise de la chose, l’univers a du mal à prendre. Ouais, c’est peuplé et vivant, mais… cela ne marche pas. En ce qui me concerne, j’imagine que c’est dû à l’ambiance générale. Les devs sont jeunes, et ça se voit. Les personnages sont bloqués dans les années estudiantines. Comme on l’a vu plus haut avec le petit exemple de la fête, ça fait assez « hippie, fêtes, alcool, amour ». Les PNJ n’ont pas grand-chose de plus que cela à raconter… Ça pourra peut-être réveiller l’ado qui dort en certains d’entre-nous, mais en ce qui me concerne, je me suis assez souvent senti trop vieux pour ces conneries (… je ne suis pourtant pas si vieux que ça).

Et il y a autre chose qui dérange. Vous ne devinez pas ? Pour rappel, c’est un jeu indé ambitieux développé par une toute petite équipe. Bon, OK, avant que cette critique se termine en épisode de Dora l’Exploratrice, allons-y : les bugs. Ouais, on se doute que ça a dû être un cauchemar à débugger… c’est certainement pour cela qu’il en reste autant, et du genre casseur de partie… Else Heart.Break() mettra forcément votre patience à l’épreuve, entre le maniement et l’interface très lourds, la progression parfois profondément chiante tant il prend un poil trop à cœur le fait de ne jamais prendre le joueur par la main ; et mes grands amis les scripts qui ne se lancent pas, qui peuvent même empêcher le déroulement du scénario principal…

 

En dehors du système de hacking et de l’impression très plaisante de voir l’autre côté du miroir, Else Heart.Break() peine à transporter totalement le joueur dans son univers. Outre la jouabilité merdique (… c’est dit) qu’on impute à des erreurs de jeunesse et à la ribambelle de bugs, le jeu veut beaucoup trop en faire. Ce choix d’ajouter une aventure inutile et peu passionnante à un sandbox très nerdy plomberait presque son concept excellent. Mais même s’il n’a pas grand-chose de plus à offrir que sa conception d’un jeu ouvert, le bébé d’Erik Svedäng et sa bande vaut le coup d’œil. Rien que pour la liberté offerte, grisante, voire excessive, au point d’être parfois franchement décourageante… et allez, disons-le : insupportable. Mais, relancer n’importe quel open-world après celui-ci donne l’impression d’être cloisonné, limité dans ses actions. Et rien que pour cela, je tire mon chapeau.

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A propos de l'auteur : Prypiat

Paladin des Terres Dévastées. Un peu irradié.

Un commentaire sur “Else Heart.Break()”

  1. Toupilitou dit :

    En fait, j’ai pas du tout de temps à y consacrer, mais tu m’as bien donné envie en fait ; c’est surtout dû à ta phrase de conclu « Mais, relancer n’importe quel open-world après celui-ci donne l’impression d’être cloisonné, limité dans ses actions. Et rien que pour cela, je tire mon chapeau. ».

    Je craquerai un jour ^^


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