Crysis
Il a été le symbole d’un studio à son meilleur, avant de le faire sombrer petit-à-petit dans l’ombre, si bien qu’aujourd’hui, on voit difficilement comment la boîte pourrait se relever. Sous la direction de Cevat Yerli, Crysis est surement l’âge d’or qualitatif de la boîte, alors que son âge d’or commercial serait plutôt le second épisode d’une trilogie qui aurait certainement mieux fait de s’arrêter au premier… et peut-être aurait pu tolérer le troisième s’il n’avait pas été si court, si peu ouvert, et si peu équilibré. Aujourd’hui, nous allons revenir sur le célèbre premier épisode, et sans doute le porte-étendard de la « master race » . Le fait est que l’on a bien souvent tendance à oublier qu’il y a eu un portage Xbox 360 / PS3 de ce titre, et c’est cette version que nous allons décortiquer. Enfilez vos lunettes, mettez votre cerveau en mode « 20 images secondes » , et on y va.
Un superbe portage… capable d’afficher le jeu, et pas grand chose d’autre
Sachez qu’avant toute chose, je vous déconseille cette version. Voilà, à plus. Enfin, je vous la déconseille parce que, techniquement, ce n’est vraiment pas la joie. On voit pourquoi Crytek ne voulait pas sortir le jeu sur console ; il aurait fallu attendre la huitième génération de machines pour espérer pouvoir faire tourner convenablement un jeu clairement trop ambitieux. Si vous voulez y jouer, préférez-lui largement la version PC, le titre pouvant fonctionner convenablement sur des PC Carrefour aujourd’hui. Si vous n’avez vraiment pas le choix, je vais tenter de vous décrire ce à quoi vous aurez le droit.
Première et plutôt bonne nouvelle, Crysis est vraiment joli sur Xbox 360 et PS3. Il tient la dragée haute aux plus gros triple A, et se permet même de les gifler sur sa physique qui reste aujourd’hui tout à fait folle. Si la version console fait quelques concessions sur celle-ci, globalement, on est à un niveau seulement atteint par Red Faction Guerrilla. Crysis arrive à être beau en plus d’être très largement interactif ; on peut détruire les bâtiments, couper des arbres, étrangler des mecs et les jeter sur leurs potes, et surtout… chopper des poulets pour les jeter sur des soldats d’élites afin de s’assurer qu’ils ne se relèvent pas. Et ça, même Fable n’a pas osé.
Résultat, on pourra s’amuser à jouer au bûcheron, en cassant des arbres en de petits morceaux qui auraient pu faire office de bûche pour alimenter un feu de cheminée. On peut détruire des bâtiments, mais il nous est impossible par contre de faire une extension à la mignonne petite maison dans la forêt. On peut aussi faire tomber un arbre sur un ennemi en hurlant « TIMBEEEEER ! » , mais l’adversaire, plutôt peu habitué à se faire attaquer par un arbre, continuera à nous pilonner, avant de se faire fracasser la gueule par un gigantesque tronc. Tout un programme de joyeusetés s’offre à vous, avec beaucoup de méthodes pour s’amuser avec vos ennemis, tout un tas d’outils pour un gameplay émergeant, permettant notamment de finir tout un niveau à l’aide d’un lave-linge, à la manière de mon tonneau de combat préféré dans Half Life 2.
Toutes ces possibilités d’ordre technique paraissent anodines dit comme cela, mais elles permettent en réalité de voir l’environnement comme une arme, et d’oublier que notre attirail n’est sensé servir qu’à shooter du Nord-coréen qui, cette fois, n’ont pas envahis les USA (… quelle idée en même temps !). Avec ton lance-roquette, pourquoi viser seulement un ennemi alors que tu peux tirer sur le bâtiment dans lequel lui et ses copains se trouvent ? Enfin, on fait ce que l’on veut dans chaque situation, car l’environnement est vraiment ouvert, l’IA s’adapte convenablement à vos stratégies, tandis que tout est fait pour réaliser ce que l’on souhaite.
La végétation est bien rendue, l’environnement est vivant, et le seul point négatif visuel est la non-variété des décors ; il y en a de trois types, et seul l’un d’entre eux est exploité suffisamment, voire surexploité. On se demande bien comment Crytek a fait rentrer de si grandes cartes et de si beaux visuels dans une console avec seulement 512 Mo de RAM. Comment ont-ils fait ? Eh bien, ils ont accompli un cauchemar technique. Peut-on leur en vouloir ? Préserver à tout prix l’expérience Crysis était une belle idée, mais sacrifier à ce point la fluidité afin de permettre au jeu de proposer son plein contenu était une idée débile. Ainsi, dès qu’il affiche trois ennemis, le jeu a du mal à suivre, alors imaginez une dizaine individus autour de soi, défouraillant partout, avec des bâtiments explosant de tous côtés, et un tank foutant le bordel en éclatant les arbres alentours car vous esquivez ses obus ? Bah, ça donne une expérience totalement affreuse, pratiquement injouable, qui finit par ressembler à un diaporama ignoble.
On comprend alors que malgré le travail de Crytek pour rendre leur jeu disponible sur console, il était simplement impossible d’arriver à un résultat visuellement et techniquement convaincant. La 360 crache ses poumons, insulte le joueur de lui infliger ça, en lui rappelant bien qu’elle date de 2005 et qu’elle n’a pas été faite pour que des développeurs plus techniciens que game designer lui fassent subir leurs fantasmes. Résultat, environ toutes les vingt minutes, on fait une pause. On regarde un diaporama en faisant passer chaque image rapidement, assez longtemps pour que vous puissiez dire « la version 360 de Crysis est tout à fait convenable » , et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on arrive au final, catastrophe technique où même le plus tolérant, voire le joueur chevronné de Zelda : Majora’s Mask dans sa version originale à 17 fps, trouvera le portage raté. On en est là.
Donc, est-ce que ça enlève les qualités du jeu de base ? Oui, malheureusement. On a du mal à passer outre ; c’est beau, c’est riche, c’est super impressionnant, mais putain, c’est rarement jouable confortablement, souvent dérangeant et injouable dans de trop nombreuses situations. Sortez le sur One et PS4 les mecs ! Niveau sonore, on a deux-trois jolis bugs également, mais, globalement, les doublages font un taff correct et les musiques s’en sortent sans aucune mention que ce soit. On peut néanmoins saluer les bruitages qui, même quand ils buguent (… quand une tôle entre en collision avec un élément de décor, se mêle à lui, et commence à s’exciter en tous sens avec les bruits qui vont avec) font un boulot très honorable. On aurait toutefois préféré que les pétoires aient plus de peps. Je pense ne jamais avoir écrit le mot « peps » ; champagne les gars !
Des défauts de maniabilité
Crysis est un jeu clairement pensé pour les PC et son combo clavier / souris. Le portage sur console s’est fait avec quelques remaniements hérités de la version console de Crysis 2 (… sorti peu avant), et malgré tout, Crysis a dû mal à être amadoué. Déjà, il est d’une certaine rigidité dans les contrôles avec des mouvements très complexes, les différentes fonctionnalités de l’armure sont assez étrangement gérés sur console, avec la disparition du mode puissance qui est directement intégrée aux possibilités, ainsi que la mode vitesse qui subit ici le même traitement. Comme le framerate est très instable sur la version console, il est très complexe d’effectuer un saut précis, et comme le personnage ne peut pas grimper de lui-même pour compenser le manque de précision, on se plante souvent.
Bien sûr, les gunfights trop intensifs sont un calvaire, et le jeu à la manette est particulièrement tout autant complexe à cause du framerate qu’au fait qu’il n’y ait pas la moindre trace d’une assistance à la visée efficace. On peut aussi dire que la maniabilité des véhicules est largement perfectible, mais leur usage reste assez occasionnel. Cette somme de défauts de maniabilité nuit largement à l’expérience, et à un portage qui est déjà bien sabordé par ses propres ambitions techniques. L’interface est, cela dit, plutôt fonctionnelle, et on n’a pas forcément à se plaindre de celle-ci, ce qui est une bonne chose.
Malgré tout, on ne peut enlever sa richesse au titre ; un arsenal correct avec des sensations solides, ainsi qu’une interactivité ludique rafraîchissante par rapport aux multiples jeux figés auxquels nous avons pu jouer en cette septième génération. Cette variété de jouabilité permet de compenser les défauts assez efficacement, et malgré toutes les tares, on arrive à se prendre au jeu et à profiter de sa richesse. Du moins, dans sa première grande partie. La seconde moitié du titre est par contre réservée à des niveaux plus scriptés, moins libres, et on finit par mollement se laisser porter par des environnements toujours superbes et une histoire on ne peut plus bateau. Les seconds adversaires auxquels vous serez opposés n’arriveront pas à efficacement renouveler le plaisir de jeu, et on se met à rêver de retrouver nos adversaires Nord-coréens. Malheureusement, cela n’arrivera pas.
Toute la dynamique insufflée par le jeu dans sa première partie est sabotée par sa seconde, où l’on fini par ne prêter attention qu’aux défauts du portage, et aux défauts du jeu lui-même. Difficile de passer à côté des tares du titre ; on fini par s’ennuyer ferme, à se demander s’il ne vaudrait pas mieux arrêter le massacre, et surtout, arrêter la machine qui ventile comme jamais sur le jeu afin de faire tourner ce grand foutoir technique. C’est on ne peut plus dommage, parce que la formule de ce jeu avait un vrai potentiel qui ne sera même pas exploité par ses successeurs.
Alors, c’est des Nord-coréens sur une île, et en fait y a des aliens…
Pan-pan-pan, méchants coco ! Pan-pan-pan, méchants aliens ! Série Z, et même plus loin si on pouvait, Crysis premier du nom a un scénario aussi travaillé que les quêtes secondaires des Royaumes d’Amalur. C’est littéralement l’ennui complet, et c’est simplement soporifique. J’aurais presque pu faire un développement plus court que le titre de cette partie, mais bon, ça aurait été un léger foutage de gueule.
Bonus : Crysis premier du nom est très largement inspiré du jeu de Techland, un autre FPS avec des mécaniques de jeu similaires nommé Chrome : Specforce, reconnu par la presse comme un titre extrêmement médiocre. L’affiliation avec Crysis premier du nom est plus qu’évidente lorsqu’on y joue, ainsi que quelques détails rappelant évidemment Deus Ex. Intéressant à découvrir, il semble que Crysis n’ait finalement rien créé, mais sur PC, il reste selon moi un immanquable pour sa technique, ainsi que son gameplay vraiment réussi.
Ne prenez pas Crysis premier du nom sur console, sauf si vous n’avez pas ou ne supportez pas l’idée de jouer sur PC. Le portage est aussi peu cher qu’il est peu réussi, et ne permet que d’effleurer le potentiel du titre. Je ne peux que conseiller d’y jouer sur PC, et de ravaler votre fierté si vous ne supportez pas le support. C’est sur ce jeu de mot aussi accidentel que mauvais que je m’en vais continuer ma deuxième étrange partie de Dragon Age Inquisition. On en parlera plus tard !