Nicolas DITERIKS (music composer)

Interview : Nicolas DITERIKS (music composer)

J’ai connu Nicolas DITERIKS lorsqu’il était un modérateur qui modérait avec une globale modération sur RPG France. A l’époque, il démarrait à peine sa carrière vidéo-ludique. Un peu plus de quatre ans plus tard, sans pour autant avoir perdu contact entre temps, je le recroise alors qu’il peut dorénavant se targuer d’avoir un CV tout à fait sympathique pour quelqu’un qui fait sa carrière dans les musiques de jeux vidéo. Retrouvez ci-dessous l’échange informel que nous avons eu ensemble afin de faire une petite rétrospective de sa courte (mais que j’espère fort longue) carrière. C’est parti !

 

Salut !
Salut !

Bon, c’est pas parce qu’on se connait un peu depuis maintenant quatre ans que tu vas échapper à la traditionnelle présentation rapide. Alors, bah, vas-y, je t’en prie !
Je m’appelle Nicolas DITERIKS, je suis compositeur de musique, et je travaille principalement dans le jeu vidéo. Le jeu le plus connu sur lequel j’ai travaillé, c’est They Are Billions, qui est toujours en early access. J’ai travaillé également sur Lords Of Xulima du même développeur. J’ai aussi bossé sur trois jeux mobile avec une société qui s’appelle Nanobit, gros éditeur européen qui fait des jeux comme Hollywood Story ou My Story par exemple. C’est du jeu mobile où il y a beaucoup beaucoup de téléchargements, plusieurs millions, sans que ce soit forcément mainstream. Et sinon, j’ai également travaillé avec Olivier DERIVIERE sur The Technomancer et Vampyr

 

 

… Et The Council !
Eh oui, bien vu ! (rires) Ouais, bien sûr. T’y as joué ?

Ah bah ouais ; c’en est même presque mon jeu de l’année 2018.
Ah cool ! Ouais c’était très sympa comme projet. J’étais music editor pour Olivier

… justement, question de noob : j’ai vu sur ta page web que parfois tu étais composer, d’autres fois, orchestrator, ou bien encore music editor. C’est quoi la différence entre tout ça ?
Petite parenthèse : j’ai aussi travaillé sur Eqqo, un jeu en VR développé par Parallel Studio, qui avait fait le jeu White Night il y a quelques années. Enfin, à l’époque, c’était sous le nom Osome Studio. C’est en partenariat avec Google pour leur nouveau device, une exclusivité il me semble, et j’étais orchestrator là-dessus.

Du coup, qui dit VR dit nouvelle approche ?
Oui. Là, le compositeur, c’était aussi le directeur audio, Nicolas BREDIN. Il a longtemps travaillé chez Ubisoft, mais aussi sur Remember Me chez Dontnod. Sur ce coup-là, il a composé la musique et j’étais orchestrator ; mon travail était moins technique au niveau de l’approche d’une musique de jeux vidéo, dans le sens intégration et interactivité, mais plutôt purement musical avec un travail sur les partitions. Mais pour répondre à ta question, music editor, c’est la personne qui va travailler avec le compositeur pour faire en sorte que les musiques soient « intégrables » dans le jeu. Typiquement, pour te donner un exemple, Olivier DERIVIERE compose un morceau, et moi je vais repasser sur la session pour découper, rallonger, changer des trucs, faire des loops, éventuellement intégrer dans le moteur audio.

Finalement, le travail de music editor, c’est de faire en sorte que le morceau colle au gameplay ou à la situation ?
C’est ça ; que ça colle au gameplay, à la cinématique, à la séquence. C’est beaucoup de montages. Dans le cinéma, c’est le monteur son. Dans le jeu vidéo, c’est un peu différent car il y a d’autres paramètres qui rentrent en jeu, comme l’implémentation, le système de musique, etc…

Pour retracer un peu ton parcours, tu as étudié pendant cinq ans dans une école de musique à Paris.
L’American School Of Modern Music, qui est une école plutôt orientée jazz. A la base, je me destinais à être pianiste, à faire du studio ou ce genre de choses ; j’ai toujours été passionné par la composition. J’étais déjà un joueur addict, et c’est marrant, mais je n’y pensais pas forcément tout de suite comme carrière. Au fur et à mesure des années, j’ai switché là-dessus naturellement. Au début, j’étais un gamer, mais je ne me penchais pas forcément sur la musique ; je l’appréciais sans l’analyser. Au fil des ans, de la maturité, et de la connaissance musicale, je m’y suis intéressé, pour voir qu’il y avait finalement plein de choses intéressantes à faire. Ça s’est fait assez naturellement.

Après l’école parisienne, tu as fait un détour aux States par le Berklee College Of Music à Boston ; c’était quoi ton objectif en allant là-bas ?
Ouais, exactement. C’est une université assez prestigieuse de musique, et c’est là où je me suis spécialisé, où j’ai étudié la composition, l’orchestration. Je me suis penché davantage sur les moteurs audio pour faire de la musique de jeux vidéo. J’ai étudié avec Ben Houge, qui a été directeur audio à Ubisoft Shanghai sur Tom Clancy’s EndWar. Il a aussi composé la musique d’Arcanum, un RPG de l’époque Baldur’s Gate qui avait plutôt bien marché. Donc voilà, je me suis vraiment spécialisé quand j’étais là-bas. Quand je suis revenu en France, j’ai tout de suite commencé à bosser sur Lords Of Xulima avec Numantian Games, et c’était parti.

Je croyais que tu avais commencé avec celle de Sylfria Chronicles (… qui je crois n’est toujours pas sorti).
Ah oui ; c’était Lords Of Xulima en premier, et très vite j’ai été en contact avec les mecs qui faisaient Sylfria Chronicles. Malheureusement, le projet n’a pas abouti. Par contre, ils ont fait un jeu s’appelant Spirit Of War, qui est sorti, sur lequel j’ai également travaillé. Le studio a néanmoins fermé après la sortie de Spirit Of War. Sylfria Chronicles, ils n’ont pas continué le développement, mais peut-être qu’ils le sortiront un jour s’ils l’ont gardé dans un tiroir. En tout cas, je ne suis plus impliqué dans le développement.

Sinon, quand tu reviens au France, avant même de bosser sur Sylfria ou Xulima, tu avais travaillé sur différents documentaires destinés à la TV, dont la plupart sont célèbres. Ça se trouve, je t’ai déjà entendu sans le savoir avant même de te connaître. Quelle expérience en as-tu retiré, car c’est finalement sur des productions différentes du jeu vidéo, linéaires ?
Oui, j’ai écrit pas mal de musique pour France 3 ; c’est un peu comme ça que je gagnais ma vie avant de ne faire quasiment que du jeu vidéo. C’était une très bonne expérience, car ça permet, d’autant plus quand tu débutes ta carrière, de très vite avoir à gérer les deadlines, les demandes, les retours des clients en face de toi. Donc voilà, c’était une très bonne rampe de lancement, surtout que j’étais jeune ; j’avais 22 ans…

… Ouais, d’ailleurs j’ai pris un coup de vieux en allant vérifier tout à l’heure, parce que tu as seulement 28 ans.
(rires) Mais oui, effectivement, c’était très différent de bosser sur des jeux vidéo ; il y a quand même une dimension en plus, qui est l’interactivité, le fait que ça puisse être imprévisible où on ne sait pas forcément ce que le joueur va faire. Différent, mais c’était quand même une très bonne expérience. Je le referai avec grand plaisir, vraiment.

Pour revenir sur ta collaboration avec Numantian Games, comment t’as réussi à décrocher le gros lot ?
Un gros coup de chance (rires).  C’était l’époque 2012-2013, sur la fin du gros boom sur Kickstarter et Indiegogo, et je browsais ces sites pour trouver des jeux sympas. Je suis tombé sur Lords Of Xulima, et ça m’avait vachement plu. J’ai tenté, un peu en mode »bold  » , et je leur ai envoyé un mail avec ma démo, parce que ça me plaisait en temps que joueur. Je leur ai demandé s’ils avaient un compositeur, et si non, si ça les intéressait de bosser ensemble. Ils ont répondu de façon très positive, ce qui est soit dit en passant une chose assez rare, d’où la notion de chance (rires).

J’imagine qu’il y a assez peu de retours, un peu comme les mails avec un CV…
J’en ai envoyé quelques unes, mais ce n’est pas quelque chose que je fais tant que ça. Là pour le coup, le projet m’intéressait vraiment, et je ne vais pas m’amuser à envoyer des demandes totalement random sans m’intéresser avant au projet. Dans tous les cas, il vaut mieux que la démarche soit sincère. Ils ont finalement aimé la démo que je leur avais envoyé, et ils étaient chauds pour travailler avec moi, car ils n’avaient pas de compositeurs à l’époque, et ça s’est très bien passé.

Tu as également continué à travailler avec eux sur leur deuxième jeu, They Are Billions, qui pour le coup n’a rien à voir ; on passe du dungeon crawler fantasy au STR dans un univers post-apo steampunk. Une préférence sur ce pour quoi tu as préféré composer (fantasy VS futuriste) ?
Aucune préférence ; les deux projets étaient passionnants. D’ailleurs, They Are Billions, ce n’est pas fini, vu que c’est de l’early access, et il reste de la musique à faire. Chacun avait son propre challenge. Je suis content qu’on ait fait un projet comme ça après Xulima, parce que ça permettait de changer d’univers, d’essayer de nouvelles choses.

Avec néanmoins davantage de moyens sur They Are Billions, d’autant plus qu’il y a eu un enregistrement avec un orchestre à Bratislava en Slovaquie.
Totalement ! A la base, pour tout t’avouer, on était parti sur un budget assez serré, surtout pour la musique ; c’est normal, les devs préféraient concentrer leur force financière sur de beaux assets graphiques ou ce genre de trucs. Cependant, avec le succès totalement inattendu du jeu (il a été dans le top de Steam pendant un moment), ça a débloqué du budget pour qu’on puisse enregistrer avec un vrai orchestre symphonique ; le jeu s’est écoulé autour de 600 000 copies, et pour une team d’un studio de quatre personnes, c’est énorme. C’est pourquoi les devs ont finalement été OK pour investir davantage dans la musique, histoire d’avoir quelque chose de vraiment qualitatif. Du coup, on a enregistré vingt minutes de musique à Bratislava en une session d’un après-midi ; on avait soixante musiciens, un chef, et un ingé son.

Ce n’est toutefois pas moi qui les ai dirigé. L’expérience a été formidable, parce que c’est un super orchestre qui a l’habitude de faire beaucoup de musiques de films et de jeux vidéo, et ils ont tout de suite compris ce qu’il fallait faire sans que ça ne prenne trop de temps. J’ai déjà dirigé un orchestre sur d’autres projets, notamment Eqqo, mais pour ce projet, comme j’étais vraiment le compositeur, je préférais rester dans la control room (c’est la cabine où on est avec l’ingé son et la table de mix), pour vraiment me concentrer sur l’enregistrement et pas la direction de l’orchestre. En fait, quand tu diriges, tu te concentres sur des choses plus concrètes, et tu vas forcément louper des détails, parce qu’il te manque un certain recul, que tu as quand tu es dans la cabine et que tu écoutes vraiment ce qui sort des enceintes.

Bon, je me doute que même si tu savais tu ne pourrais pas me le dire, mais je tente quand même hein… Tu vois, j’ai un lion en train de me traquer, et il me tombera direct dessus si je ne te pose pas la question. Alors, par le plus grand des hasards, tu ne bosserais pas sur un Lords Of Xulima 2 ?
(rires) Nan. Je peux te le dire : je ne bosse pas dessus. Je ne sais pas ce qu’il en est du côté de Numantian en ce qui concerne une suite à Xulima, mais ils sont actuellement très concentrés sur They Are Billions. En tout cas, si y’a un 2, j’aimerais beaucoup le faire. On verra, mais s’il y en a un, c’est pas pour tout de suite.

Pour le reste, j’imagine que c’est avec les jeux de Numantian que t’as eu le plus de reconnaissance ?
Totalement. Surtout avec They Are Billions en fait. Lords Of Xulima, y’a eu un petit peu, mais c’était un petit succès pour la taille du studio, sur un jeu de niche hardcore qui restait petit budget. Donc y’a eu moins de reconnaissance sur ce premier jeu, mais ce n’est pas grave ; ce n’était pas le but. Le but c’était de faire un beau produit avec de la belle musique. Mais oui, They Are Billions a eu un impact, et qui se ressent sur ma carrière.

Pour revenir un peu sur Nanobit, tu as travaillé avec eux sur quelques productions à destination du monde mobile ; il y avait une réelle volonté de se lancer dans ce truc, ou c’était surtout histoire de rajouter une corde à ton arc ?
Ça m’intéressait. J’ai rencontré un des producteurs de Nanobit à la GDC Europe, on a parlé et on s’est bien entendu. Il a eu envie de bosser avec moi, et je dois dire que c’était de la musique très agréable à écrire, parce que c’est un style qui me plait beaucoup. On est allé sur un genre un peu comme les Sims, ce qu’on appelle un peu « quirky  » , à la fois léger et un peu excentrique. Ces petits projets, ça m’a toujours intéressé, parce que… presque, ça détend j’ai envie de dire.

Et est-ce que composer pour le mobile est plus contraignant (ou au contraire plus rapidement expédié #préjugé) ?
Y’a plusieurs choses à savoir. Déjà, pour le mobile, y’a un problème technique : c’est la taille que ça prend. C’est à dire qu’on ne peut pas délivrer d’énormes fichiers .WAV qui font 44 Mo ; c’est juste pas possible. Du coup, y’a un petit challenge technique par rapport à ça, et faut que le jeu puisse tourner sans problème. Après, je ne pense pas qu’il y ait d’autres contraintes, et certainement pas créatives. Et justement, pour te répondre sur le « rapidement expédié  » , il y a à chaque fois un travail de recherche. Après j’imagine que ça dépend des compositeurs ; tu peux très bien sortir toutes tes recettes que tu maîtrises et sortir ta musique en deux secondes. Personnellement, je n’aime pas travailler comme ça. Sur les jeux mobile, même en étant allé sur des styles un peu clichés (volontairement), il y avait malgré tout une vraie démarche artistique. Donc ce n’est pas forcément plus expéditif que le reste, à la différence que ce sont des petits jeux, et qu’il y a moins de musique à fournir, et qu’on y passe nécessairement moins de temps. Tu ne vas pas bosser deux ans sur un jeu comme ça, mais plutôt un mois.

Sinon, comment s’est passée la rencontre avec Olivier DERIVIERE ?
J’ai rencontré Olivier une première fois à un événement qui s’appelait à l’époque Game Music Connect à Londres, et qui n’existe plus maintenant. C’était un summit de compositeurs, un petit peu par les compositeurs pour les compositeurs, et Olivier faisait un talk à cet event. Je suis allé lui parler avant qu’il commence, et y’a eu un premier contact comme ça. Puis, Olivier cherchait quelqu’un pour bosser avec lui sur The Technomancer et on a été (re)présentés par Nicolas BREDIN dont je te parlais tout à l’heure et avec qui j’ai travaillé sur Eqqo ; ça s’est fait comme ça.

Une autre expérience enrichissante j’imagine, d’autant plus que ce ne sont pas sur des petites productions (The Technomancer / Vampyr / The Council) ?
Totalement. C’est vraiment passionnant de travailler avec lui car il a une approche différente sur tous les jeux pour lesquels il travaille, et je pense que c’est une de ses grandes forces. The Council, c’était un projet plus court pour moi, quelques mois seulement. Vampyr par contre c’était beaucoup plus intense. On a livré énormément de musiques et il y a eu un assez gros travail sur l’interactivité ; par exemple, si tu tues quelqu’un à un endroit, la musique pourrait changer si tu y repasses plus tard, alors qu’elle aurait été la même si tu n’avais tué personne. Ou bien, pendant les conversations, tu entendras le violoncelle plus proche de toi pour donner ce sentiment de proximité avec les personnages. Mais pour le détail, il vaudrait mieux que ce soit lui qui te réponde.

Tu fais bien de me lancer la perche, et tu remarqueras que j’aurais très bien pu faire ça tranquillement en privé, mais je préfère le faire publiquement comme un sale : ce n’est peut-être pas l’endroit le plus approprié, mais tu pourras caser un mot auprès d’Olivier ? Ça fait trois ans qu’on le chasse pour l’interviewer !
(rires) Là on rush sur la fin d’un projet, mais je pourrai faire passer le message auprès de lui dès que l’orage sera passé.

C’est ce qu’on appelle une promesse gravée dans le HTML ! Sinon, de manière plus générale en ce qui concerne la composition de musique, comment réussir à trouver le bon ton pour un jeu ?
Déjà, la première chose, il me faut le jeu, soit sous forme de vidéos, sous le build du jeu directement. Et là il y a tout un travail de recherche à faire. Sur They Are Billions par exemple, c’était vraiment pas facile, parce que c’est un jeu de zombies mais ça fait pas peur, c’est steampunk mais d’un autre côté c’est pas une musique de chambre comme Dishonored et c’est plutôt Fallout (un peu sale on va dire), c’est humoristique sans être cartoonesque non plus. Du coup, tous les codes qui auraient pu être applicables facilement ils ne le sont pas du tout dans ce contexte. Là, c’était vraiment pas facile de trouver le bon ton. Ça nous a pris du temps, on a pas mal discuté avec Jesús Arribas, le game director du jeu et fondateur du studio ; j’ai envoyé des trucs et ça allait pas, je renvoyais et c’était mieux mais fallait changer ça… Il y a eu beaucoup d’échanges, et on a vraiment travaillé ensemble pour trouver ce qui marchait et collait le plus. De toute façon, si tu fais de la musique interactive, il faut vraiment capturer ce qui fait l’essence même du gameplay. Les règles, c’est ce qui fait un jeu, et faut se concentrer un maximum dessus pour matcher autant que possible avec le gameplay.

Justement ; la collaboration doit pas mal varier d’un dev’ à un autre. Certains doivent être plus intrusifs que d’autres en termes créatifs ?
Bien sûr. Et ça va aussi varier d’un jeu à un autre ; il y a des jeux où il n’y a pas besoin d’une musique qui est profondément interactive, tandis que d’autres en ont besoin.  Et puis, oui, tout à fait, j’ai déjà travaillé avec des gens qui n’en avaient rien à foutre de la musique entre guillemets, genre « oui-oui envoie tes trucs, on est contents  » . Au contraire, certains étaient très à cheval là-dessus, à limite me dire qu’il y avait des notes qui n’allaient pas. J’ai eu tous les extrêmes, et ce qu’il y a au milieu. Ça fait partie du métier de savoir être diplomate par rapport à ça, et de s’adapter aux exigences de chacun. Ma meilleure expérience reste quand même avec Numantian. C’est une petite équipe, mais ça se passe merveilleusement bien, bien que ce soit challenging ; humainement, c’est top avec eux.

C’est prévu que j’aille aussi toquer à leur porte de toute façon ; il faut juste que je trouve le temps ! Par contre, sur un autre sujet, je voulais avoir ton opinion ; il y a une race bizarroïde de joueurs qui jouent sans le son et la musique ; une idée de comment les toucher ?
(rires) En effet, c’est un problème. Dans les jeux de type e-sport, il faut se dire que la musique peut gêner les commentaires (s’il y a des commentateurs), d’autres préfèrent jouer avec leur propre playlist… Pour contrer ça, il faut que la musique fasse écho au gameplay un maximum. Sur They Are Billions, la musique est par exemple un bon indicateur de l’arrivée des zombies, et d’où est-ce que tu en es dans la bataille. Il faut faire en sorte que la musique soit un énorme feedback pour le joueur ; du coup, il aura moins envie de la couper. A l’opposé, sur le mobile, tu peux être sûr que les trois-quarts des joueurs vont couper le son, même si c’est pour d’autres raisons, parce qu’ils sont dans le métro par exemple. Tout ça, c’est évidemment à garder en tête.

Je voulais également revenir sur les sociétés de gestion des droits d’auteur, car j’ai déjà eu plusieurs retours de développeurs et / ou compositeurs de musique de jeux vidéo, comme quoi c’est un système qui n’est pas du tout adapté à cette industrie. Tu peux m’éclairer ?
Bonne question. Les droits d’auteur dans le jeu vidéo, ça n’existe pas. Éventuellement, il y aurait des royalties sur les ventes des jeux, mais ce serait pour les studios de développement, pas pour les compositeurs. Ce qu’il se passe pour la musique, c’est qu’on t’achète la musique et tous tes droits. Tu ne touches pas de pourcentage. Le paradoxe, en France, quand tu adhères à la SACEM, par contrat, tu es obligé d’y déposer tout ton répertoire. Or, dans le jeu vidéo, on se base sur un modèle américain de buyout où on t’achète les droits. Les éditeurs (et les développeurs) ne veulent surtout pas entendre parler de la SACEM, parce qu’ils n’ont pas envie d’être dépendants d’eux pour ce qui est de la musique. Le compositeur, de son côté, serait obligé d’y mettre tout son répertoire, et donc également les musiques du jeu, ce qui les exclut de facto de certaines productions.

Dans les faits, toutes ces sociétés de gestion des droits d’auteur (en France et en Europe) ont une case « jeu vidéo  » , mais le problème est que ce qui est appliqué en termes de contrat n’est pas du tout compatible avec ceux de l’industrie du jeu vidéo. Tu peux t’arranger à la SACEM pour déposer tes musiques d’un jeu vidéo ; ils l’ont fait avec Ubisoft sur Rayman Legends, avec Christophe HERAL qui a un contrat avec la SACEM. Ça reste néanmoins un cas particulier, et ça ne s’est quasiment jamais vu ailleurs. Malgré tout, ça essaye de bouger, mais ça prend du temps. J’ai l’impression que chaque acteur veut faire plier son interlocuteur à sa volonté ; la SACEM veut que les éditeurs de jeux aillent dans leur sens, et vice-versa. Et puis on ne va pas se mentir : la SACEM, pour les éditeurs, c’est un peu une grosse lanterne rouge, avec tous les procès et problèmes juridiques qu’il y a. Bref, ce n’est pas près de se régler tout de suite…

Et si demain je squatte ton ministère de tutelle (à savoir celui de la Culture), si tu as une question à transmettre, ce serait quoi ?
(rires) Je ne sais pas du tout ! Hmmm… Je dirais qu’il faudrait faire de gros efforts sur l’éducation musicale, et l’apprentissage des matières artistiques de manière plus générale. Enfin… il y a surtout un problème sur la manière dont c’est enseigné ; c’est extrêmement scolaire, alors que cela ne doit être que du plaisir. Pour la musique, je pense que le solfège est important, mais c’est la manière dont c’est enseigné qui est problématique, jusqu’à en dégoûter certains.

Hmmm… C’est peut-être pour ça que je dessine comme une quiche ; j’enverrai un petit cadeau à l’anthrax à ma prof de dessin du collège (rires). Bon sinon, ce n’est pas vraiment une question, mais je prends quand même. Plus sérieusement, as-tu pu déjà profiter d’aides pour la composition de musique ? Je pense en particulier au FAJV (Fond d’Aide aux Jeux Vidéo) qui peut aider les auteurs et compositeurs.
Nan, jamais. Bon après, j’ai jamais fait la demande, tout simplement parce que je ne le connaissais pas. Tu m’apprends quelque chose. J’en ai jamais réellement eu besoin, et donc je ne m’y suis jamais intéressé, mais c’est une super initiative.

Tu aurais un conseil à donner à quelqu’un qui voudrait se lancer dans la composition de musiques de jeux vidéo (… ou est-ce que ça se limite à « avoir un bon carnet d’adresses  » comme dans la plupart des métiers artistiques) ?
Bah déjà, le carnet d’adresses, ça se construit avec le temps, et il faut savoir que… ça prend du temps. Après, on peut avoir le coup de chance énorme, et faire le prochain Assassin’s Creed alors qu’on a qu’un an de carrière, mais les relations professionnelles, ça se construit. C’est normal et c’est comme ça. Mais après, ça marche pareil lorsque tu lances un business : ça prend du temps. Comme conseil, je dirais que faut déjà jouer beaucoup, parce qu’il faut savoir ce qui se fait, savoir qui fait quoi et comment, etc… C’est un métier où tu apprends sans cesse tout du long de ta carrière, généralement en auto-formation. Il faut également travailler beaucoup et se bouger pour aller vers les gens et faire des rencontres.

Avant qu’on se quitte, un dernier petit mot pour nos lecteurs ?
Eh bien, déjà, merci à l’équipe de Loutrage pour l’interview ; ça fait toujours plaisir, et c’est toujours une bonne occasion de parler de sujets intéressants. Je ne sais pas si vos lecteurs jouent à They Are Billions, mais je reçois régulièrement de très sympathiques messages vis-à-vis de la musique, donc merci mille fois ! Et si vos lecteurs ont des questions, qu’ils n’hésitent pas à me les poser !

Bah écoute, tu vas même t’inscrire sur Loutrage pour répondre à ceux qui réagiront…
… Ah bah oui, carrément, avec grand plaisir !

Merci pour l’échange, et @ bientôt !

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A propos de l'auteur : Toupilitou

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2 Commentaires sur “Nicolas DITERIKS (music composer)”

  1. cabfe dit :

    Ah, je me souviens d’extraits de la musique de Xulima, j’avais été très impressionné déjà à l’époque. Ca sonnait vraiment pro.
    Pas étonnant qu’il soit parvenu à faire son chemin, et tant mieux pour nos oreilles !

  2. Ninheve dit :

    excellent
    j’suis contente d’avoir des nouvelles et finalement je réalise combien il y a de ‘métiers’ complémentaires autours de la composition de la musique de jeu. Je n’avais pas réalisé. En tous les cas bravo pour tes compositions !


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