Les intouchables #10 : Game Of Thrones – Le Trône De Fer

J’en ai fait des intouchables, j’en ai fait des jeux, mais j’en ai peu fait qui ont la puissance de Game Of Thrones de Cyanide. Montré du doigt et traîné dans la boue avant d’être laissé pour mort telle la maison Stark, le jeu de Cyanide est la production la plus évocatrice du talent de narration du studio. Si la France a bien un studio capable de raconter une grande histoire avec virtuosité, qui d’autre que Cyanide pour s’affairer à pareille tâche ? Peu de sites ont souligné la grande réussite du titre dans le domaine qui est pourtant sa seule ambition, raconter l’une des histoires les plus poignantes de l’univers de Georges R. R. Martin. Pour tout vous dire, je considère le jeu de Cyanide comme bien plus passionnant que la série de HBO. Je mettrais presque la réussite du titre en matière de narration et de scénario aux côtés d’un certain KOTOR 2. Car l’adaptation en jeu de rôle de Game Of Thrones va bien au delà du fan service pur et simple, et se rapproche énormément du mythique jeu d’Obsidian. C’est simplement un jeu dont on se souviendra.

 

A game of thrones

Cyanide n’y va pas de main morte lorsqu’il s’agit de retranscrire l’ambiance du roman de G.R.R. Martin. Oui, Cyanide ne se base pas sur la série, mais bien sur l’écrit de l’auteur, et ne va finalement que peu faire référence au show télévisuel, même si on reconnaîtra quelques correctes modélisations d’acteurs ici et là. Les lieux sont poisseux, inquiétants ; on ne se sent jamais vraiment en sécurité sans que le studio ait eu besoin de nous infliger de trop nombreux affrontements, surement desservis par un système de combat à peine correct. Cyanide n’offre pas de grands espaces et donc peu d’exploration, sans non plus transformer son jeu en un couloir claustro-phobique. Ici, la construction rappelle avec bonheur les premiers jeux de rôle en 3D de Bioware et le récit, cantonné à ses zones, n’en est que plus concentré, plus maîtrisé. J’ai lu, dans une critique de Gamekult, un commentaire du testeur qui a qualifié le jeu de soporifique à cause de son rythme. Je ne sais comment ce monsieur réagit face à un GTA ou à un Metal Gear Solid classique, mais force est de constater qu’il est difficile de trouver Game Of Thrones mou, si l’on trouve les deux licences sus-nommées bien rythmées.

C’est justement le rythme savamment dosé du titre qui lui donne encore plus de poids. S’appuyant sur un récit complexe, sombre, et bien plus adulte que ce que tous les Witcher nous ont proposé (… pan, dans les dents !), la première moitié du jeu pose une histoire plus intimiste des récits en proposant, à l’instar de la saga de l’auteur, des points de vue, et non un point de vue comme trop souvent. Les deux héros imposés que vous pouvez personnaliser dans leurs statistiques et leurs personnalités malgré des constances, ont vraiment beaucoup à apporter à la dynamique de l’histoire. Une dynamique moins prenante cela dit que ce que réussira Of Orcs And Men (… les deux titres partagent bien des choses). Les choix effectués dans l’aventure, en plus de rendre le scénario encore plus dense et cohérent, permettent de se fabriquer sa propre expérience du jeu des trônes. Un jeu dont on peut vite devenir la proie tant les protagonistes se jouent de vous. Contrairement à de nombreux jeux, le choix n’est pas un artifice ; il est important et amène une grande rejouabilité.

Mais, ne vous y méprenez pas ; la trame et les protagonistes resteront assez immuables malgré des fins multiples. Est-ce une faute ? Pas vraiment. Le jeu de Cyanide étant bien plus un jeu d’aventure dans l’univers de Martin qu’un jeu de rôle pur et dur, mais disons que son cahier des charges de jeu de rôle light est très correctement rempli, avec une personnalisation poussée du personnage, ainsi que des choix de traits et de réponse qui nuancent le propos de héros pas si inflexibles que ça. Le jeu de Cyanide est à la frontière du jeu de rôle et du jeu d’aventure, tant il arrive à maintenir cette illusion de contrôle sur les deux protagonistes. Et pour cela, merci de me mettre dans l’embarras. Salauds.

Mais est-ce que, pareil à la série ou au roman, ou même au très sous estimé film interactif de Telltale (… oui c’est un remake du destin des Stark, le fait est que c’est très bien fait), le jeu de Cyanide nous fait ressentir des émotions ? Oh que oui. Dix fois oui même, mais pas que. Le titre propose aussi des dilemmes cornéliens et non-manichéens qui vous déchireront les entrailles, bien plus que le simple fait de libérer Iorveth ou soutenir Roche le moche dans Witcher 2 (… et bim, dans le bide !). J’ai, pour ainsi dire, pleuré à deux reprises dans le court de ma partie, et surement ressenti une haine profonde envers un certain nombre de protagonistes. J’ai aussi ressenti beaucoup de malaise, du dégoût… Bref, j’ai vécu quelque chose au fond de moi en jouant à ce titre. J’ai ressenti beaucoup d’empathie, à m’en faire suivre les intentions du titre à la lettre ; quand le jeu riait, je riais, quand il se mettait à pleurer, je pleurais avec lui. Si ça ce n’est pas un signe de maîtrise absolu, je ne sais pas ce que c’est.

 

A lack of goal

Malheureusement, si le jeu s’en sort avec brio en ce qui concerne sa narration, ce n’est pas le cas de ses mécaniques de jeu et de son système de progression qui est, au mieux, bancal. Ici, la carotte pour pousser à explorer et faire les quêtes secondaires n’existe pas dans le game feel ou le système de progression. Les combats ne sont que de peu d’intérêt, en plus d’être brouillons et accompagnés d’une caméra qui vous regarde jouer, là, à côté, en train de manger vos chips aux vinaigres. Si au moins les combats s’étaient avérés un poil dynamique, j’aurais laissé couler, mais là, ce n’est pas le cas. Les combats sont clairement mous et longuets, deux graves constats qui plombent le rythme de l’exploration. Un petit malheur pour l’ambiance générale.

De plus, la montée de niveau est lente et peu satisfaisante ; le sentiment de progression et de maîtrise progressive du jeu sont tout simplement absents. Quelques idées auraient pu sauver le tout, comme contrôler le chien de Mors, ou explorer le monde à l’aide de la vision de prêtre du feu Alester, mais rien n’y fait. On ne joue que peu à Game Of Thrones pour le jeu, mais bien pour sa trame, ce qui est malgré tout dommage.

 

A game with soul

C’est aussi dans sa réalisation que le jeu déçoit, tout en s’avérant très fidèle à l’ambiance des romans. Peu habitués à la réussite technique, les petits gars de chez Cyanide ont fait le choix d’user du moteur. Mais si, le fameux moteur ! Ne faites pas semblant de ne pas savoir de quoi je parle. Grâce à ce puissant outil, ils ont pu recréer le monde de Game Of Thrones tout en couloir et en zones étriquées qui briment encore plus une exploration déjà pas bien fameuse. Les problèmes techniques viennent ensuite, surtout sur des versions consoles loin d’être parfaites, avec un haut taux d’aliasing, du tearing, du clipping, et du carjacking. Si vous n’avez pas encore anticipé, oui, les modèles de personnages ne sont pas très détaillés mis à part les deux héros principaux, et l’ensemble n’est pas ce que l’on peut qualifier de baroque.

Pourtant, Cyanide insuffle suffisamment d’atmosphère et fait preuve d’un grand respect pour l’œuvre ici adaptée. Ainsi, la direction artistique va dans le bon sens, un univers médiéval classique d’une extrême cruauté, un monde dans lequel la tendresse et la faiblesse sont synonymes de grandes souffrances à venir. Bien sûr, le jeu parle énormément de politique et de conflits ; il est donc logique que le monde ne soit pas très coloré, bien que les couleurs ternes finissent par fatiguer les yeux et réduire le temps d’une session de jeu, la morosité de l’ensemble contaminant vite le joueur.

Pour la musique, Cyanide reprend des thèmes désormais classiques, mais aussi quelques nouvelles compositions qui se laissent écouter, sans vraiment satisfaire quiconque. Fort heureusement, le doublage français est de haut-vol, et aligne des comédiens de grands talents offrant une prestation des plus respectables et convaincantes. C’est tout de suite moins impressionnant quand les bruitages s’avèrent manquer de soin, mais ils sont à l’image de la production globale : assez fidèle, mais manquant de finitions. Un défaut que l’on peut porter à presque toutes les productions françaises, mais aussi à une grosse poignée de grands jeux de rôle. Et le Game of Thrones de Cyanide, en tant qu’adaptation de l’univers de G.R.R Martin est un grand jeu. Cela ne fait plus beaucoup de doutes.

 

Faisant parti de la famille des titres médiocres qui ont une âme et au moins une immense qualité, Game of Thrones de Cyanide fait pencher la balance en contrebalançant des défauts évidents de production, à une qualité d’écriture et un soin dans l’adaptation qui force le respect. Si vous aimez le show, ou même si vous aimez uniquement les romans, vous n’avez aucune bonne raison de passer à côté. Et pour les allergiques à la saga, sans doute est-il temps de lui donner une nouvelle chance !

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A propos de l'auteur : Marcheur

Enfant attardé de Kreia et d’Alfred de Musset. Pense que tout est narration, et répète sans cesse qu’il donne tout en dansant comme un ouf

4 Commentaires sur “Les intouchables #10 : Game Of Thrones – Le Trône De Fer”

  1. Shizam dit :

    Le jeu végète sur mon compte Steam depuis un bail. Où il souffrait sur mon ancien PC.
    J’avais juste ébauché le titre avec le premier personnage.
    Et effectivement, le gameplay brouillon et pas bien passionnant n’a pas aidé à forcer l’aventure.
    Ou quand le plumage se rapporte au rammage smile…

    Je me le tenterai bien en mode « Aventure » ( difficulté facile par exemple ), pour voir ce qu’il en est dans sa proposition profonde.
    Car j’avais bien lu quelques part qu’il avait un p’tit quelques chose dans la narration ce Game of Thrones made in Cyanide.

  2. Toupilitou dit :

    Ah bah joues-y en facile, c’est clair ; c’est ce que j’ai fait l’année dernière et c’était une vraie belle surprise ^^

    Le gameplay est une plaie, mais l’histoire et l’ambiance – qu’on connaisse ou pas l’univers d’ailleurs – sont excellentes.

  3. Marcheur dit :

    Ah mais de toute façon, Game of Thrones ça se joue en facile et si c’était possible, faudrait encore baisser la difficulté pour fluidifier le récit. En vérité, le jeu de Cyanide est bien supérieur à celui de Telltale sur le plan que Telltale se concentre: la narration et l’écriture.
    C’est tout le paradoxe, mais pour une fois, je suis suffisamment convaincu par la proposition narrative d’un jeu pour reconnaître que son gameplay le dessert. Kotor 2 en était presque à ça mais pour Game of Thrones c’est clair et net. Passé le côté mécanique totalement à l’ouest, c’est un vrai petit bijou, et je ne peux que supplier les joueurs de s’y essayer

  4. flofrost dit :

    Fonces Shizam, ce jeu fait parti du top au niveau de l’écriture. Dans le petit monde du jv, j’ai rarement vu un tel talent pour te raconter une histoire, vraiment dommage que la partie « jeu » en elle même soit un peu moisie.


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