Inquisitor
En provenance des vertes contrées tchèque, le petit studio Cinemax nous a concocté un RPG digne de ce qui se faisait dans la fin des années 90. Le projet, débuté en 1999 par une bande de développeurs motivés (… au point d’y bosser sur leur temps libre), s’est achevé en 2012. Trois années supplémentaires ont été nécessaire pour le traduire en anglais, et enfin, trois de plus pour l’adapter dans la langue de Molière. Le passage à travers les âges se fait ressentir et, pour les inconditionnels du genre, en voir le bout risque de s’apparenter à un chemin de croix, tellement certaines mécaniques pourront s’avérer aussi austères qu’un moine cistercien. Je vais essayer de vous mettre en lumière les qualités et défauts de ce jeu méconnu, où seuls les plus pieux d’entre vous parviendront à y déceler son potentiel.
Nous voici plongé en pleine inquisition, une glorieuse époque où un regard mal interprété peut mener droit au bûcher. Un temps dans lequel la fornication est sévèrement châtiée, et où le doute est clarifié par la torture. Heureusement, comme l’indique le titre du jeu, nous serons du côté de ceux qui posent les questions. Des hérétiques ont comploté dans l’ombre pour invoquer des démons tout droit venus des enfers. Ainsi, notre devoir sera de renvoyer dans les abysses des êtres tel que Azraël, Baphomet… et peut-être Satan lui même ! Mais avant d’en arriver là, ces démons ont eux mêmes invoqué leurs sbires, que nous devrons affronter pour amener la parole de dieu sur terre. Ce menu fretin prend la forme incongrue d’orques et d’hommes lézard (euh… OK !). Mis à part cette entorse au bestiaire biblique, le monde d’Inquisitor n’est peuplé que d’être humains, et restitue une ambiance médiévale d’après peste noire telle que l’on peut se l’imaginer lors de l’inquisition espagnole. Si je fais le rapprochement avec nos voisins consommateurs de tapas, c’est que la carte du monde ressemble à s’y méprendre à leur territoire. Le déplacement entre les zones se fera par son intermédiaire et chaque frontière de niveau permettra d’y retourner.
Au fur et à mesure des renseignements glanés auprès de la populace, la carte s’étoffera d’un nombre important de nouveaux lieux à explorer. On aurait aimé la présence de rencontres aléatoires lors des déplacements entre zone, mais hormis cela, l’ancienne recette fonctionne toujours aussi bien. Certes , il faudra un petit temps d’adaptation pour se réhabituer aux graphismes typiques du genre, mais le jeu ne s’en sort pas trop mal, et nous rend des décors extérieurs détaillés que nous finirons, au fur et à mesure de notre progression, par apprécier à leurs justes valeurs. Les animations, que nous qualifierons au mieux de désuète, laisseront penser que certains PNJ sont possédés par le malin. Entre les PNJ statiques et ceux qui font des allers-retours comme s’ils souffraient d’hémorroïde ; le jeu ne tire pas son épingle du jeu dans ce domaine, mais le puriste ne s’attardera pas sur ce genre de détails. Et puis, voir un évêque se taper un petit moonwalk, ça n’a pas de prix !
Les thèmes musicaux, bien qu’un peu répétitifs à la longue, sont d’assez bonne facture et parviennent à nous immerger dans cette ambiance sombre en nous rappelant que la fin du monde est proche… et qu’on est pas là pour fabriquer des crucifix en scoubidou ! La principale force du titre vient d’ailleurs de cette ambiance oppressante. J’ai rarement eu l’occasion de tomber sur des choix de résolution de quêtes aussi morbide (et tant mieux !). Contrairement aux RPG d’antan, Inquisitor ne fait jamais dans le second degré ; ce qui pouvait amener des situations particulièrement glauques de Fallout 2 à nous donner le sourire, ici, vous feront réfléchir jusqu’à quel point peut aller votre morale.
Un maraud à enlevé une demoiselle en détresse, entrerez-vous dans son jeu en extorquant une rançon à son mari pendant qu’il abuse d’elle, ou bien combattrez-vous ce vil personnage dans une joute qui semble perdue d’avance ? Un soldat souhaite commettre le rapt d’une duchesse qui l’a jusqu’à présent éconduit ; allez-vous participer à l’enlèvement contre une bourse bien remplie, ou bien le dénoncer à ses supérieurs au risque de ne pas être cru ? Un mendiant s’est vu offrir une bourse conséquente pour étouffer son témoignage. Après lui avoir tiré les vers du nez, profiterez-vous de votre statut d’inquisiteur afin d’extorquer la monnaie du loqueteux pour « les besoins de l’enquête » ?
Qui dit inquisiteur, dit torture et bûcher ! Lorsque les conclusions d’une enquête vous amènent à suspecter quelqu’un, il sera possible de le « soumettre à la question », c’est à dire torturer l’individu jusqu’à ce qu’il avoue sa culpabilité. Mais attention ! De nombreux PNJ pourront vous conduire vers de fausses pistes et vous pourrez être amené à torturer un innocent, ce qui aura pour conséquence, d’en plus de vous sentir coupable d’une telle ignominie, de faire baisser une jauge de karma. Mais la scénarisation et l’ambiance ne font pas tout ; Inquisitor souffre de nombreux écueils qui ne peuvent être passés sous silence.
Le presbyt’(sous)terre
Le premier défaut qui me vient immédiatement à l’esprit est son rythme. Le jeu étant extrêmement verbeux. La première fois où vous entrerez dans une ville, préparez vos lunettes, car vous voilà parti dans au minimum de six heures de lecture ininterrompue. Attention ! Je ne critique pas la qualité de l’écriture, qui a bénéficié d’une traduction réalisée d’une main de maître par l’équipe de traducteurs de RPG France, menée par All_Zebest… Un grand bravo à eux ! Néanmoins, pour éviter de finir aveugle prématurément, je ne peux que vous conseiller de jouer en 1024 x 768 ; cela permettra que les dialogues ne soient pas totalement minuscules, et cela vous aidera surtout à distinguer votre personnage à l’écran ! Si vous n’avez pas quitté le jeu à cause de cette surabondance de textes, et êtes parvenu à épuiser toutes les lignes de dialogues des villageois, il faudra ensuite s’atteler à la résolution des quêtes. Et pour cela, vous allez devoir visiter moult donjons, et ce jusqu’à l’écœurement…
A la fin de l’acte 1, vous serez amené à vider une mine de tout ses occupants… Et qui dit mine, dit souterrain. Pour voir le bout du tunnel, il faudra descendre dix niveaux afin de s’enfoncer toujours plus en profondeur. Manque de chance, les développeurs n’ont pas pensé qu’il pourrait être utile d’avoir un moyen rapide de retourner en ville histoire de réparer son matos ou vider son inventaire du superflu. Du coup, il vous faudra vous retaper tout le chemin inverse à des nombreuses reprises, ce qui va s’avérer long et fastidieux pour les moins patients d’entre vous. Néanmoins je peux vous prodiguer une petite astuce qui vous facilitera grandement la vie : certains commerçants peuvent vendre un objet intitulé « boite magique » qui, lorsqu’on la détruit, fera apparaître un génie vous proposant de réaliser un vœu. Parmi les vœux qu’il vous soumet, il y a la possibilité qu’il se transforme en marchand ambulant, évitant ainsi maints allers-retours… Dommage que je n’ai découvert cette astuce qu’au neuvième étage de la mine…
Bien qu’il s’agisse d’un des plus imposant, le niveau de la mine est à l’image des autres donjons du jeu. Nous progressons dans les ténèbres, entouré d’un faible aura lumineux qui ne permet pas de voir très loin. Un sort de lumière existe mais s’estompe au bout d’une trentaine de secondes, et il n’est pas possible de récupérer les torches dont les murs sont ornés. Parfois, il peut arriver que l’on soit bloqué devant une porte infranchissable, qui ne peut s’ouvrir qu’à l’aide d’un levier situé à l’autre bout du niveau, et qu’il faut en plus arriver à distinguer au pixel près dans la soupe de poix qui nous entoure.
Donjon & Boisson
Le reste de nos explorations seront ponctuées de combats. Et du combat vous allez en bouffer ! Malheureusement, ils seront aussi fade qu’un hostie périmé. Les mécaniques sont extrêmement rigides et ont, aujourd’hui, considérablement pris un coup de vieux. Le système de combat est fortement inspiré de Divine Divinity, et avouons-le, ce n’était pas sur ce point que le jeu était réputé. Pour résumer, on clique sur un ennemi, on attend que notre personnage le tabasse, et on enchaîne sur le suivant. Un système de pause active existe, le problème est qu’il est attribué à la touche « pause », une touche dont je ne connaissais pas jusqu’à présent l’existence, et qui à le tort de se situer à un endroit très peu ergonomique du clavier… à moins d’être contorsionniste, vous ne vous en servirez qu’en de rares occasions. L’impossibilité de reconfigurer les touches du clavier à notre bon vouloir, n’aide pas non plus.
Pour nous assister dans notre œuvre pacificatrice, il sera possible de recruter jusqu’à quatre compagnons. Malheureusement, l’interaction avec eux n’est réduite qu’au strict minimum. Il n’est pas possible de configurer leurs équipements, impossible de les diriger à notre convenance, impossible non plus de personnaliser leurs caractéristiques… La seul once tactique qu’il nous reste est de leur donner quelques ordres du type : chargez !, Repliez-vous !, halte !, assis ! couché ! donne la patte… Pas moyen non plus de tailler un bout de gras avec eux entre deux éviscération d’hérétiques, mais par contre, qu’est ce qu’ils ont la descente facile ! Au fil des combats, ils n’hésiteront pas à siroter l’intégralité des potions que votre inventaire peut contenir. Une fois celui-ci vidé, vous pouvez vous dire qu’ils ne tarderont pas à passer de vie à trépas.
Au fil de ma partie, je n’ai pu compter que sur deux stratégies efficace. La première est la méthode classique où l’on attire les ennemis un par un, avant d’avoir fait attendre son groupe dans un coin plus reculés, pour les assassiner un à un. La deuxième, que je renommerais la technique « Benny hill » : si un ou plusieurs ennemis vous prennent à partie, courez en direction du tank de votre groupe pour que les manants s’en prennent à lui… afin de les cribler de flèches, pendant que votre tank prend les coups.
Au Nom de l’arc rose
Pourquoi se contenter d’un arc et ne pas suivre l’art noble du tranchage des membre à la claymore, me direz-vous ? La raison est simple : si notre héros décède, c’est le game over ! Et des manières de rejoindre dieu prématurément, il en existe une pelletée. Prenons l’exemple du crochetage. Bien qu’ayant dépensé dix points dans la compétence, je n’arrive à ouvrir aucun réceptacle. Il m’est toutefois possible de les détruire. Le revers de la médaille, c’est que la moindre barrique de bois n’hésitera pas à vous envoyer un piège mortel en travers de la tête. D’où mon intérêt, pour la voie de l’archerie qui permet de détruire ces contenants mortels à distance, évitant ainsi de subir une rencontre avec la faucheuse à chaque ouverture de coffre. Et ne comptez pas sur vos compagnons pour vous ressusciter, vu qu’à part picoler et se fritter, ils n’auront pas d’autres utilité.
En plus de l’archerie, synonyme de la voie du voleur, il vous sera possible de suivre deux autres voies. Nous pourrons incarner soit un paladin orienté corps-à-corps, soit un prêtre orienté magie. La Magie est constituée en six écoles, trois qui tendent vers le divin, trois qui tendent vers le malin. Seulement deux écoles de votre choix seront accessibles en début de partie (… sauf le prêtre qui aura droit à trois), mais au fil du jeu, vous trouverez des livres qui, une fois utilisés, permettront de s’initier aux autres. Enfin, selon d’où tend votre alignement, des bonus vous seront accordés en fonction des sorts que vous utiliserez. Mais, si la magie ce n’est pas votre truc, sachez que durant vos pérégrinations, vous pourrez mettre la main sur des sceaux qui permettront à toutes les classes de personnage d’utiliser n’importe quel sort offensif .
Fait intéressant : après avoir accompli une quête spécifique, chaque classe de personnage pourra bénéficier, dans chacun des actes, d’un domaine exclusif… Le voleur peut gravir des échelons dans la noblesse, le paladin aura un accès VIP dans la guilde locale des paladins, et le prêtre pourra quant à lui se passer d’un juge pour exécuter des sentences à l’encontre des pêcheurs bafouant la parole divine.
Auto-flagellation
Vous l’aurez compris, Inquisitor est un jeu qui revendique son héritage hardcore. Oubliez les système d’aide auxquels nous avons été habitué à travers les jeux récents. Pas de marqueurs sur la carte, ni de flèche de direction pour nous guider dans les quêtes. Évidemment, me direz-vous, c’est la condition sine qua none d’un RPG old-school ; le journal est là pour ça, et justifie ainsi son utilité. Manque de bol, son système de classification est un bordel sans nom. Le moindre indice recueilli y sera immédiatement retranscrit, et ce sans la moindre hiérarchisation. De plus au bout de quatre notes inscrites, le journal passera à la page suivante. Si vous voulez retrouver un détail précis, il faudra feuilleter une multitude de pages dans l’espoir de retrouver l’information dont vous avez besoin. Bien que ce soit un élément qui est pourtant primordial dans ce genre de jeu, on bannira son utilisation à regret. Il ne restera plus qu’à compter sur nos méninges pour se rappeler où se situe tel ou tel PNJ.
La gestion de l’inventaire est du même acabit. Tous les objets que vous ramasserez s’accumuleront à la volée, et aucun bouton n’existe pour ranger ou filtrer son inventaire. Parfois, il n’est pas possible de ramasser une armure, tout simplement car les potions ne sont pas rangées de la bonne manière. Un peu comme un hack’n slash old-school, vous aurez la lourde tâche de réorganiser les emplacements de votre inventaire de la façon la plus optimisée possible. Ne parlons pas des objets de quête qui ne quittent pas l’inventaire après que l’on s’en soit servi, mais penchons-nous plutôt sur le principe d’identification. De nombreux objets que vous ramasserez nécessiteront d’être identifiés avant d’être vendus. L’ensemble des commerçants pourront vous identifier votre fatras moyennent finance… mais, souvent, le coût d’identification sera supérieur au montant de la revente de l’objet.
Bien que ce principe soit résolument à l’ancienne, on aurait aimé pouvoir trouver des parchemins d’identification comme ce à quoi nous avaient habitué les RPG du genre. Il existe néanmoins un sort salvateur intitulé sixième sens (pourquoi pas identification ?) qui permettra d’identifier d’un seul coup tout les objets de votre inventaire. Une compétence existe également, mais je soupçonne qu’il faille dépenser un nombre hallucinant de points dedans pour arriver à identifier la moindre bottine en cuir.
L’offre et la demande semble très fluctuante dans le monde d’Inquisitor ; si un objet vous intéresse et que vous voulez l’acquérir, il vaut mieux ne pas être à court de liquidité, car à chaque fois que vous adresserez la parole à un commerçant, leurs marchandises auront changé et l’armure que vous convoitiez tant aura disparu. Autres problèmes de taille : les marchands ne proposeront pas d’antidote contre le poison. Un sort antipoison existe, mais encore faut-il avoir la chance d’avoir suivi la bonne école de magie. Si ce n’est pas le cas, à la moindre morsure d’araignée, vous vous précipiterez dans les bures du premier prêtre venu, afin qu’il restaure votre santé jusqu’à ce que le mal se dissipe. L’ensemble de ces mécaniques exaspérantes mises bout-à-bout risque de décourager n’importe quel joueur, même celui empli de la meilleure volonté du monde. Inquisitor est un jeu qui se mérite !
A l’image d’un vin de messe éventé, Inquisitor demandera une bonne dose d’abnégation pour être apprécié, mais si vous y parvenez, une grande aventure s’ouvrira à vous. Les premières gorgées risqueront d’être âpres, mais une fois votre palais habitué, vous voudrez toujours en reprendre un petit peu plus. S’arrêter aux premières impression vous priverait d’une épopée noire dont l’ambiance unique en son genre vous happera durant une centaine d’heure. Et au vu du faible montant auquel il est commercialisé, cela reste du pain béni.
Ce jeu-là, sans les combats, il m’aurait fort probablement plu ^^
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merci amigo ,)
Toupi : tu ne fais pas partie de la caste des élus alors ^^ …Mais oui je confirme c’est bien les combats qui m’ont poussé à abandonner .