SUPERHOT
Après avoir passé mon été à faire blanchir ma toison à l’ombre, je sors de ma caverne pour vous présenter une critique sur un jeu découvert par hasard, et qui m’a rapidement retourné le cerveau. Mais, avant de passer dans le vif du sujet, je vous propose un exercice linguistique utile à la compréhension de ce qui va suivre. Vous êtes prêts? Lisez à voix haute, et répétez, de façon lente, et en distinguant les syllabes : SUPER – HOT. Je sens dans le fond de la salle que certains ne font pas l’effort de prononciation nécessaire à la suite de cet article. Reprenons, avec votre plus bel accent anglais : SUPER – HOT. C’est mieux. Maintenant, poursuivez. Une fois ce concept maîtrisé, nous passerons à la suite. SUPER – HOT, SUPERHOT, SUPERHOT… Voilà qui est mieux. Et donc, qu’est-ce donc que c’est quoi SUPERHOT? C’est ce que nous allons voir maintenant…
Soft indépendant et fier de l’être, financé par un kickstarter courant 2015, SUPERHOT a su créer la surprise et attiser la curiosité des joueurs par des concepts simples, et des prises de position fortes. Le projet a été porté par environ douze mille enthousiastes, pour la bagatelle de 250 000 dollars. Notons que SUPERHOT utilise comme moteur le fameux Unity 5, dont je vous avais déjà parlé dans ma précédente critique de Kerbal Space Program. Après plus d’une année de développement, et quelques mois de retard sur le calendrier originel, l’équipe de développement polonaise SuperHot Team (… ça ne s’invente pas), nous présente son nouveau joujou accessible en démo bêta gratuite sur Steam. Démo que votre serviteur s’est empressé d’obtenir pour se faire une idée plus précise de ce que SUPERHOT a à offrir.
Après quelques parties scotchantes mais décidément trop courtes, j’ai écumé quelques sites et magazines spécialisés, pour constater l’accueil des professionnels du secteur à ce soft ambitieux. Je résumerai simplement leur pensée, car l’avalanche d’éloges est bien réelle. Considéré par ses concepteurs, ainsi que par certaines structures partisanes du moindre effort : « SUPERHOT , le FPS le plus innovant de l’année » . Cependant, je ne souhaitais pas à m’en tenir à ce genre de considérations simplificatrices. C’est après une danse du ventre des plus séductrices face à la statuette de notre Déesse Loutre installée dans son sanctuaire, au milieu de mon salon, que le miracle est arrivé : SUPERHOT atterrit délicatement dans mon compte Steam. Et c’est alors que tout a commencé…
Le corps est jetable…
Compte tenu de ce qui se fait à l’heure actuelle, autant vous prévenir tout de suite : SUPERHOT ne vous emmènera pas en ballade sur les autoroutes goudronnées du jeu vidéo mainstream. Lors de votre premier contact avec le soft, vous tomberez face à un menu prenant l’apparence du regretté MS-DOS, avec une ambiance sonore faite de divers bruissements de disques durs et de ventilateurs informatiques. Vous en conviendrez, SUPERHOT n’est pas ce que à quoi vous pourriez vous attendre, et c’est bien là la première bonne surprise. Sans même démarrer une partie, l’on se retrouve au milieu d’un menu assez tentaculaire. Vous pouvez certes lancer le jeu, mais également papillonner un bon quart d’heure, comme cela m’est arrivé, et tenter de savoir pourquoi diable en 2017, à l’heure des jeux aseptisés et dirigistes, des développeurs sont assez fous de tenter le pari de prendre le jeu vidéo à contre-pied, quitte à noyer le joueur sous une foule d’informations dont il ne sait que faire au premier abord.
Le menu est donc très vaste, avec une petite dizaine de dossiers, composés chacun de plusieurs fichiers, et que vous pouvez d’ailleurs exécuter. Certains ouvrent des animations, représentations imagées de diverses portes logiques, d’énigmes, et même de mini-jeux. Vous avez bien lu, vous pouvez lancer SUPERHOT, sans y jouer pour autant. Un signe manifeste d’une grande créativité que les concepteurs ont voulu retranscrire à l’écran ; SUPERHOT est un concept avant d’être un énième jeu indépendant. C’est donc en explorant ce menu, que SUPERHOT est une bouffée d’air frais, à l’opposé des clichés que l’on aurait pu attendre de lui. Reste au joueur de deviner ce qu’il fait sous DOS. Pour aiguiller notre réflexion, lançons donc un partie…
Rapidement, une fenêtre de chat s’ouvre, toujours sous cette interface DOS assez austère. Un de vos amis vous parle d’un nouveau jeu qu’il vient de cracker, et qu’il faut que vous essayiez de toute urgence. A chaque réplique, il vous sera demandé de répondre à votre interlocuteur. Je me sens alors pris d’un doute : « Seraient-ils allés jusqu’à créer un chatbot dans le jeu, qui réagit en fonction de vos réponses? » . La réponse m’arrive rapidement : peu importe le message que vous tapez, votre réponse sera prédéfinie et apparaîtra sous vous yeux, mais vous amènera les premières bribes scénaristiques du jeu. Nous prenons la place d’un(e) hacker à la recherche de nouveaux jeux, par des voies marginales. Notre collègue cracker vous envoie donc le jeu, que vous téléchargez, et nous voilà lancés pour le premier niveau.
L’esprit est virtuel…
Une fois arrivé en jeu, l’aspect visuel est très épuré et ne s’embarrasse pas du superflu. En ce qui concerne les textures des décors, les concepteurs ont opté pour des dégradés de blanc, très éclatant. Attention à votre rétine ; il se pourrait que vous sentiez un léger picotement si vous jouez à des heures tardives. Une fois cette base de coloris posée, la quasi-totalité des décors seront déclinés dans ces teintes, nuancée par certaines ombres, suivant le placement des diverses sources de lumière. Au premier plan, chaque objet que vous aurez en main sera coloré en noir, et représenté sous la forme d’une foule de polygones volontairement non lissés. Toutefois, des effets de reflets franchement sympas, habilleront ces textures assez brutes. En tant qu’ennemis, nous trouverons les fameux red dudes qui, comme leur nom le laisse supposer, seront d’un rouge très flashy, également composés de polygones non lissés.
En les éliminant, ils pourront exploser suivant la localisation des impacts, toujours dans une foule de polygones rouges. Le résultat est assez brut, impressionnant, et extrêmement contrasté. Ceci apporte au soft une ambiance très singulière, qui lui sied à merveille. Pour se raccrocher à d’autres titres, l’aspect peut faire penser à Mirror’s Edge par l’utilisation de couleurs très vives et l’absence totale de HUD, dans une dimension bien plus radicale et déshumanisée cette fois. Je pense sincèrement que seul le jeu vidéo indépendant pouvait être à même de créer ce genre de visuel étonnant et inédit. Certes, les jeux indés sont un énorme fourre-tout où la flemme côtoie le génie, mais il faut saluer le travail de création effectué par l’équipe de SUPERHOT.
En ce qui concerne le gameplay, la base est assez simple car commune à tous les FPS. Vous contrôlez un personnage qui peut se mouvoir dans toutes les directions, sauter, et ramasser des armes. L’éventail des armes disponibles peut aller du tesson de bouteille à la mitrailleuse, en passant par le katana, la batte de baseball, et autres joyeusetés. Rappelez vous que l’absence de HUD vous empêchera de savoir le nombre exact de cartouches en votre possession, et qu’il faudra souvent garder à l’esprit un plan B au cas où vous seriez à court de munitions, même si votre plan consiste a courir les bras levés vers l’ennemi, en hurlant des insanités. Le clic droit vous permet de lancer l’arme en votre possession, et d’étourdir un adversaire qui sera par la même occasion désarmé, laissant son équipement à terre.
Il sera alors question d’aller vite, car les ennemis peuvent évidemment ramasser n’importe quel objet à leur portée. Pour le moment, cette description fait de ce soft un FPS classique, mais ce n’est pas tout. SUPERHOT amène une mécanique qui fait que tout le jeu gravite autour de ce concept : le temps s’écoule lorsque vous bougez. Certes, les jeux où vous pouvez contrôler le temps ne se comptent plus, mais ici, il s’agit d’une notion fondamentale à prendre en compte, car son impact sur le gameplay est gigantesque : vos déplacements permettent au temps de s’écouler. A l’inverse, si vous restez statique, le jeu se retrouve en super slow motion, ce qui vous laissera un peu de temps pour évaluer la situation et faire les choix qui s’imposent. Ce qui nous amène directement à une question épineuse…
Comment catégoriser SUPERHOT ?
Après avoir terminé le jeu, voilà la question qui tournait en boucle dans mon esprit. En effet, comme cité plus haut, le gimmick du jeu, apporté par ses concepteurs se résume comme ceci : « Le FPS le plus innovant de l’année » . Pour autant, SUPERHOT est il vraiment un FPS? Les jeunes éphèbes, ainsi que ceux qui n’ont pas eu la chance d’y jouer, nous répondront qu’à partir du moment où la caméra est à la première personne et que votre personnage a quelque chose en main pour casser des bouches, il ne peut s’agir que d’un FPS. Cette définition n’est pas fausse, seulement SUPERHOT passe outre et nous propose bien plus que cela. Là où ce soft se démarque de l’étiquette basique de FPS, c’est en premier lieu par l’absence totale de HUD, et par là même, aucune gestion des points de vie de notre personnage. Aucun power-up n’est disponible en jeu, et le moindre projectile ou n’importe quelle tatane porté à votre encontre se soldera par une mort.
SUPERHOT amène des notions fortes de puzzle et de stratégie ajoutées son style FPS. Chaque niveau est composé de plusieurs spawns d’ennemis, qui apparaissent de façon scriptée, et se comportent ensuite suivant vos différents déplacements. Certains vous fonceront allègrement dessus, tandis que d’autres, armés, préfèreront vous canarder de loin. Chaque niveau peut donc se considérer comme une énigme. Les résoudre vous demandera donc de l’observation et de la réflexion, au lieu de vous contenter de tirer sur tout ce qui est rouge. L’idée est donc de réfléchir avant d’agir, ce qui fait de SUPERHOT un titre rafraîchissant, avec autant d’action que de prises de tête, notamment pour les derniers niveaux. Autre mécanique intéressante à débloquer lors de votre progression : le HOTSWITCH, qui vous permettra d’échanger votre position avec un adversaire, mais ôtera n’importe quel objet en votre possession en contrepartie, moyennant un certain temps de recharge. Une mécanique sympa, qui rajoute une vision stratégique souvent nécessaire pour terminer les différents tableaux.
Côté durée de vie, il faut compter trois heures pour venir à bout du mode campagne comptant 34 niveaux. Je vous entends arriver de loin avec vos gros sabots, hurlant que c’est inacceptable d’avoir un jeu aussi court. Sachez ceci : moi même, j’ai tendance à apprécier les jeux longs. Cependant, SUPERHOT fait pour moi office d’exception. En effet, les différents tableaux du jeu sont assez courts, notamment au début. Toutefois, il faut en convenir, SUPERHOT est un excellent jeu pour jouer un petit quart d’heure avant d’aller faire autre chose, et se déguste bien mieux de cette manière que sur de longues sessions comme pourrait se consommer un RPG, par exemple. A tous ceux qui cherchent un petit jeu pour les occuper une poignée de minutes, sans partir pour y passer votre journée, et pouvoir y revenir plus tard avec le même plaisir : Foncez !
De plus, pour les boulimiques, sachez que des modes de challenge contre la montre ainsi qu’un mode Endless sont à votre disposition. Vous pouvez également partager vos exploits en vidéo sur une plateforme dédiée. Ajoutez à cela des secrets à trouver à chaque niveau, qui vous en apprendront plus sur le scénario du jeu, et sur vos mystérieux interlocuteurs. Également, certains secrets sont disponibles directement dans le menu du jeu, pour peu que vous soyez assez habiles pour les déverrouiller. Pour finir, des minis-jeux, simples mais dynamiques, y figurent également. Notons aussi qu’une version, développée pour l’Occulus Rift et le HTC Vive, est également disponible sous le nom : SUPERHOT VR.
En résumé, il semble que l’équipe de SUPERHOT ait réussi son pari, en créant un jeu innovant, inédit, et qui redore le blason du jeu vidéo indépendant. Seuls les grincheux regretteront un manque de contenu exploitant son idée initiale. SUPERHOT, c’est un concept bien calibré, qui vous arrachera à la réalité pour entrer dans un univers virtuel impersonnel, dans lequel le scénario, la narration, et la direction artistique radicale font front commun pour vous proposer une expérience unique. Reste à savoir si ce premier titre aura lancé l’équipe de conception pour d’autres jeux prometteurs. Gardons l’œil ouvert, et si vous souhaitez goûter à quelque chose de nouveau : jouez-y !
A propos de l'auteur : Ouega
7 Commentaires sur “SUPERHOT”
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« Seuls les grincheux regretteront un manque de contenu exploitant son idée initiale. »
J’ai rigolé quand j’ai vu ça. Apparemment, j’incarne le cliché du grincheux parce que c’est exactement là où je me positionne.
J’ai trouvé que SUPERHOT était un très bon concept à la John Woo mais un jeu qui m’a trop laissé sur ma faim. Au bout des 2 heures de plaisir, on se dit « C’est tout ? » devant le générique de fin. Et puis, j’ai pas du tout accroché à l’histoire et son délire meta du « Tell your friends » que j’ai trouvé lourds et trop « edgy ».
C’est une expérience à tenter , mais je pense que j’aimerais plus un SUPERHOT 2 moins minimaliste, avec plus d’armes, plus de maps, plus d’ennemis, plus de mécaniques, une meilleure contextualisation, une meilleure narration, etc. Et pourquoi pas un plus gros studio qui reprendrait l’idée et qui en ferait un jeu avec bien plus d’envergure et de moyens.
J’vais spoiler un coup : à mon avis, si je ne lui avais pas offert le jeu, il n’aurait peut-être pas forcément mis cette phrase
Certes. Après, ce jeu était pour moi l’occasion de jouer par à coups, quelques niveaux à la fois, où je n’ai pas trouvé l’intérêt d’y passer mon aprem et de le finir en une fois.
Sûr qu’il y a des choses à apporter, mais je trouve quand même qu’ils sont partis dans la bonne direction.
@Toupi : Mais de quoi tu parles? Je ne suis absolument pas corruptible, enfin en théorie… :p
Théorie : Ensemble organisé de principes, de règles, de lois scientifiques visant à décrire et à expliquer un ensemble de faits.
Cramé, Ouega. :|
Moi SUPERHOT dès que je l’ai vu, mon cœur s’est mis à battre.
Dès que j’ai vu son prix et sa durée, mes yeux se sont mis à chialer. :p
Assurément une bonne trouvaille ce jeu, mais définitivement trop court à mon goût.
Itou.
Je comprends votre point de vue, mais j’espère que leur apporter plus de moyens ne va pas transformer le jeu comme beaucoup de soft à la EA, cloisonnés de partout et finalement réduits à leur plus simple expression. Laissons leur le temps, on verra comment ça se goupille !