Quantum Break
Après m’être cassé les dents à de nombreuses reprises sur le dernier From Software et l’avoir finalement vaincu, il me fallait bien encore trouver de quoi patienter avant la sortie des vrais titres qui me font vibrer. C’est devenu désormais mon habitude de rythmer mes sessions de jeux avec différentes œuvres de différents genres en même temps, car rares sont ceux à réellement me passionner. Mieux vaut donc manger de tout avec une certaine modération, afin de toujours être dans la course et continuer de suivre le mouvement. Mais, je dois bien avouer que pendant un certain laps de temps, comme une rupture dans la routine de la temporalité de mon univers, le dernier titre de Remedy, Quantum Break, a su imposer son style de manière suffisamment puissante pour que je le dévore sans rien vouloir consommer à côté. Pourquoi ?
Quantum Break Soundtrack par Petri Alanko
Quoi de neuf Alan Lake… Sam Wake… Jack Joyce ?
Annoncé au fameux E3 ayant fait la présentation de la Xbox One, Quantum Break réussi à créer la surprise ; tout le monde s’attendait à la jusque là évidente annonce de Alan Wake 2. Pour le coup, Remedy annonce fièrement une nouvelle licence on ne peut plus ambitieuse : un jeu de tir à la troisième personne dans lequel on manipule le temps, et qui a pour autre particularité de partager sa trame narrative avec une micro-série télévisée.
Pas franchement innovante, cette initiative n’est pas sans rappeler l’échec de Trion World avec le MMO d’action Defiance et sa série éponyme. Pourtant, on connaît la passion de Sam Lake pour le cinéma et ses très fortes influences visibles dans ses titres, que ce soit Max Payne, Alan Wake… ou même désormais Quantum Break. L’ambition n’est pas ici de créer des saisons au format classique que l’on connaît tous, mais de conclure chaque acte du jeu par un épisode d’une série qui obéit aux choix effectués par le joueur dans le déroulement de son aventure. Choix qui auront des répercussions sur le jeu en lui même.
Alléchant sur le papier, plus discutable d’après la presse et les joueurs, Quantum Break semble être une œuvre avec des couilles, et qui n’a pas peur de prendre le risque de se planter pour mieux séduire. Des idées sont en place, un univers ainsi qu’un projet ambitieux aussi, mais cela ne serait pas la première fois qu’un jeu trop prétentieux se brûle les ailes en essayant d’atteindre le panthéon. Alors, Sam Lake et les petits gars de Remedy, avez-vous réussi à accomplir l’ascension ?
Le jeu : une réalisation technique audacieuse et réussie
Alors que les développeurs s’évertuent à essayer d’atteindre le 1080p sur la console de Microsoft au mépris de l’esthétisme, Remedy fait un pari risqué, comme à l’époque de Alan Wake. 720p et 30 fps. Retour à la septième génération d’après les moqueries, un scandale, une honte. Mais qu’a fait Remedy ? Oh, trois fois rien. Ils ont juste giflé l’industrie en mettant au point des effets graphiques scandaleusement précis et détaillés. C’est bien simple, s’il fallait un jeu qui montre qu’un cap a été passé en matière d’effets techniques, c’est Quantum Break, et cela ne se discute pas.
Alors pour que le miracle Remedy opère, il a fallu faire d’évidentes concessions techniques. Déjà, parlons des textures qui souffrent en effet d’un flou assez gênant, des personnages qui semblent avoir quelques problèmes à afficher en jeu un rendu lisse, un étrange effet ressemblant à de l’aliasing et une distance d’affichage réduite. Et sinon ? Bah ça démonte tout. Dès que ça bouge, que l’on utilise les pouvoirs du héros, que les explosions s’enchaînent, et les fractures temporelles s’exécutent, c’est un spectacle formidable qui ne laisse pas de place à la critique fondée. Quantum Break est une friandise technique et artistique qui fera date, et nous fera considérer différemment les autres jeux.
Le constat est sans appel : les faiblesses techniques de la console se voient. Le jeu n’est pas parfaitement lisse et propre. Et le plus drôle, c’est qu’il en tire un certain charme en mouvement ! Ce flou, cette espèce de traînée étrange qui suit le personnage, cela participe au chaos ambiant lors des très dynamiques affrontements du titre, si bien que le seul vrai reproche que je puisse faire est que le framerate n’atteint pas les confortables 60 images par seconde. Vous voyez à quelle extrémité j’en arrive ?
Cela dit, nuançons le constat en apportant un léger regret : n’attendez pas de Quantum Break qu’il vous fasse voyager sur la planète entière. Des hangars, des labos et des cours seront les seuls lieux que vous visiterez. Le tout s’enchaînant de manière fluide et agréable, grâce à une somme de détails impressionnante et une physique particulièrement jouissive, rendant les affrontements très vivants et les fractures temporelles très crédibles. Autre regret : les ombres sont loin d’avoir un rendu propre, ce qui est tout de même dommage.
Les cinématiques sont quant à elles vraiment bluffantes. Les personnages sont animés à la perfection et leur modélisation est à tel point réussie qu’il est difficile de les différencier des acteurs dont ils sont tirés. Reste que cette perfection relative s’accompagne d’un effet secondaire bien connu de la « vallée dérangeante » d’un de nos amis nippons. Pour de plus amples informations, c’est ici.
La série : un visuel froid et impersonnel
Mais, la réalisation de Quantum Break, ce n’est pas que la réalisation de la partie ludique, mais également la réalisation cinématographique. Et c’est là où le bât blesse. Si on apprécie les bouilles d’acteurs connus et leurs prestations à la qualité très variable – allant du bon au médiocre – le rendu visuel est d’une froideur gênante ; passer d’une direction artistique léchée à cette imagerie visuelle sans idées et folies, qui arrivent même à se montrer carrément cheap lorsqu’il est question d’effets spéciaux (… mieux vaut en rire de ce fameux goéland en image JPEG, intégré à l’écran comme si de rien n’était).
Le problème vient aussi du fait qu’il n’y a pour ainsi dire aucun cachet visuel, comme si les réalisateurs s’étaient contentés d’exécuter le script de Sam Lake, sans jamais s’impliquer dans le processus créatif. Pour tout dire, la mise en scène s’avère au mieux complètement plate, et au pire tout à fait à la ramasse, surtout lorsqu’il est question de montrer un affrontement au corps-à-corps compréhensible. Séquence épileptique du premier épisode en tête, difficile de se montrer enthousiaste face à ce show qui arrive, malgré tout, à redresser la barre, passé deux premiers épisodes particulièrement médiocres et gonflants.
Constat une nouvelle fois sans appel : visuellement, la série n’apporte rien au jeu, et on est bien plus impressionné par la patte graphique du jeu que par une série live action. Un comble tout de même de s’extasier devant un jeu ayant des ambitions davantage photo-réalistes que réaliste en lui-même. Ah, et si vous voulez voir la série et ses épisodes sans subir le streaming et ses évidents problèmes de chargement, il vous faudra la télécharger gratuitement… pour un total de 76 Go. Ouais, je ne sais pas trop comment ni pourquoi, mais 76 GO.
La plume, remedy frappe encore plus fort
Non content d’avoir créé un univers ayant captivé des milliers de joueurs avec Alan Wake, l’ami Sam Lake impose une nouvelle fois son style dans le registre de l’anticipation / science-fiction. Intéressant, fouillé, et crédible dans la mesure où vous accrochez aux trips temporels, le scénario de Quantum Break s’avère aussi complexe que bien narré, mettant en scène un petit paquet de personnages intéressants. Personnages dont la complexité n’est rendue palpable que via l’écoute de documents, la lecture de dossier, le visionnage des épisodes, et l’attention du joueur dans les séquences de dialogues. Car oui, s’il le fait parfois à risquer de noyer le joueur sous l’information, Quantum Break n’est pas des titres à bâcler son contenu.
Chaque élément, événement, personnage, lieu, nom et entreprise est longuement explicité dans divers contenus, afin de s’immerger plus profondément dans l’intrigue du titre. Sous couvert de thèmes classiques, comme la fin du monde, la vengeance, la responsabilité familiale et l’héritage, Quantum Break brasse de nombreux sujets d’actualité. Surveillance permanente, manipulation des médias, pression sociale, hiérarchisation massive de la société moderne, expérience scientifique faites au mépris des lois morales… en peu de temps, Quantum Break parle de beaucoup de choses sans jamais avoir vraiment l’air de survoler.
Notons aussi un manichéisme absent et une humanité profonde de chaque protagoniste, allant jusqu’à justifier l’agressivité du héros et son caractère bagarreur, ainsi que tous les comportements des acteurs de son histoire. Sam Lake ne laisse rien au hasard ni même à l’interprétation. Ce soucis du détail dans l’écriture, couplé à ce perfectionnisme dans la retranscription graphique du monde moderne, donne à Quantum Break une ambiance phénoménale et une immersion totale. Pour tout vous dire, non sans m’en étonner moi même, lors des séquences dites « contemplatives » (et il y en a beaucoup), je… marchais. Oui je sais, vu d’ici, cela paraît con. Mais, je ne marche jamais dans les jeux. Sauf dans Quantum Break.
La série suit le même chemin en essayant d’approfondir l’univers et en offrant aux joueurs l’envers du déco. Si l’on suit Jack Joyce dans le jeu, on s’intéresse à son antagoniste principal qu’est la société Monarch ainsi que son dirigeant et ancien meilleur ami du héros : Paul Serene. Cette structure permet encore d’approfondir le sujet et livre, aux joueurs acceptant de devenir spectateur pendant vingt minutes à intervalle d’environ une heure trente à deux heures de jeu, un élément vital à la compréhension complète du scénario de Quantum Break. Comptez environ une douzaine d’heures pour conclure une première partie en fouillant les environnements, et huit si vous êtes pressé d’en terminer, ce qui serait dommage, vu le soin apporté à l’ensemble.
Parce que oui, si l’écriture est difficile à prendre en défaut, il serait d’autant plus difficile de critiquer la mise en scène de Remedy. Osée et parfaitement imbriquée dans la jouabilité, elle sait aussi se montrer à l’occasion de séquences trop spectaculaires, et être particulièrement intrusive. Un défaut courant qui ne ressemble que peu au studio. Mais, pour être honnête, ce défaut est très épisodique et ne saura réellement gêner ; toute séquence de « non jeu » peut être évitée en pressant le bouton « B » de la manette. Il en va de même pour les épisodes de la série.
Quand simplicité rime avec fraîcheur
D’une richesse toute relative, l’arsenal mis à disposition de notre héros Jack Joyce n’a que peu à offrir. Nous trouverons en effet bien moins d’une dizaine d’armes et leurs quelques variantes pour étoffer la jouabilité. Notons cela dit que le feeling de chacune d’entre elle a été plutôt étudié, ce qui surprend surtout lorsque l’on ressort d’Alan Wake. Avec cet arsenal, vous pourrez aussi compter sur la complémentarité apportée par les pouvoirs temporels du héros. Souple et très pratique à l’usage, ces pouvoirs que l’on identifie dans les premiers temps comme un simple gimmick servant à différencier Quantum Break des autres jeux de tir, se révèlent à l’usage assez innovant. Modifiant l’approche commune des joueurs, les pouvoirs amènent un véritable second souffle à la formule Gears of War.
Se mettre à couvert est donc toujours possible avec un système d’ailleurs assez perfectible. Mais, est-ce utile ? Que nenni ! Une fois les pouvoirs découverts et maîtrisés, le jeu se fait par le mouvement et la capacité du joueur à bien choisir ses actions aux bons moments. Le level design offre d’ailleurs juste ce qu’il faut d’espace afin de laisser le joueur libre de son approche. Même si de ce côté, on n’échappe pas à la structure couloir / arène, le tout est fait avec assez de soin pour qu’on ne s’en offusque pas. Notons un effort effectué pour rendre la progression moins monotone, avec une louche d’exploration, de dialogues, d’énigmes, de plateforme, et de rélexes.
Et j’y viens enfin. Sachez qu’à chaque fin d’acte, vous pourrez effectuer un choix qui influera grandement l’épisode de la série qui le suivra, ainsi que le déroulement du jeu. Une fonctionnalité qui se révélera intéressante lorsqu’il vous viendra à l’idée que refaire Quantum Break pourrait être une expérience agréable.
Une partie sonore léchée
Vous avez le droit de jouer en VOSTFR. Merci les gars. On peut profiter des voix originales dans un jeu. C’est tellement rare ! On peut cela dit opter pour la version française intégrale qui n’a pas à rougir, et propose une série de doubleurs talentueux, voire surprenant (… le méchant est doublé par Randy Marsh de South Park, avec talent !). Seul bémol de cette version française : la synchronisation labiale vraiment pas au sommet, mais pour tout dire, c’est un défaut assez commun, qui pourra être réglé dans une prochaine mise à jour.
Côté bruitages, on assiste une nouvelle fois avec plaisir à la victoire de Remedy. Superbement calibrés et exécutés, les bruitages font preuve de justesse et précision, et renforcent une immersion qui n’a plus rien à prouver. Les musiques sont composées par Petri Alanko, le même monsieur que pour Alan Wake, et une nouvelle fois : félicitations mon gars. Que ce soit dans les cinématiques, dans les moments contemplatifs, ou même dans l’action frénétique, le travail exécuté est d’une qualité tout à fait remarquable.
Des défauts et c’est bien normal
Mais, comme tous les titres, il est évident que Quantum Break n’échappe pas à un certain nombre de faiblesses. Commençons par dire que si l’arsenal s’avère assez soigné, le manque d’armes fini par peser sur la balance, et ne fait que rendre plus répétitive une structure qui fait des efforts pour se camoufler. Reste que, même en essayant de se complexifier, le level design manque globalement de folie et d’ouverture ; ce sentiment désagréable de se retrouver dans un couloir spectaculaire est bien présent. Ce ne sont pas les innombrables objets à collecter ou même les améliorations à débloquer qui vont sauver le dernier né de Remedy de ce sentiment, d’être contraint à suivre les scripts.
On peut aussi ajouter les défauts techniques et manques de finitions qui font tâche. Citons par exemple la lumière qui traverse les objets destructibles, les pans de décors qui tardent à afficher leurs textures, voire à ne pas s’afficher du tout. Triste de constater que pour le peu d’espace à exploiter, la camisole que nous enfilons pour jouer à Quantum Break se permet aussi de nous infliger des temps de chargement affreusement longs. La fraîcheur des pouvoirs n’enlèvent pas un certain manque de créativité dans les mécaniques de tir pur et simple ; les affrontements ne sont pas tout à fait grisants, et ce n’est que couplé avec la maîtrise des pouvoirs que l’on en tirera satisfaction.
Enfin, même si la série télé a le bon goût d’approfondir le jeu et son background, elle se révèle ô combien intrusive et semble alourdir le rythme d’un jeu qui, au delà de cette faiblesse dû à un choix peut-être trop ambitieux, est tout simplement parfaitement calibré. D’autant que la qualité du show reste tout à fait discutable. Enfin, on se plaindra que l’expérience soit si courte, même si le soin apporté de manière générale force le respect, et nous permet de sortir à peu près satisfait avec une compréhension globale du titre ; sans doute juste un peu trop ambitieux pour être vraiment réussi.
On pourra enfin dire que la difficulté est loin d’être relevée, et qu’à part le final, peu d’affrontements vous poseront de problèmes, et ce, même en difficile. Toujours est-il que le final offre un bel aperçu de ce qu’est vraiment Quantum Break en termes de mécaniques. Peut être qu’un jour une extension exploitera ce même système de jeu de manière plus approfondie.
Prenez en compte cette dernière partie, mais ne fuyez pas Quantum Break ; il s’agit là d’un titre qui ne sera clairement pas le jeu de l’année, mais tout de même. Avec son scénario réussi, une courte série allant crescendo, des mécaniques fraîches et un enrobage globalement irréprochable, le titre s’entoure d’une aura toute particulière qui lui permettra de vieillir de très belle manière. Tel un Alan Wake, mais en plus réussi encore, Quantum Break ne rafle pas la mise. Mais, à jouer ses cartes avec soin, il délivre une aventure certes courte, mais dénuée de longueurs et de faiblesses réellement notables. Une réussite qui, dans le futur, suscitera encore bien des curiosités, comme les précédents jeux Remedy. Bien joué les gars.
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