La musique du flow dans les jeux vidéo
Cet article est un reboot. J’avais prévu à l’origine de parler des musiques d’Olivier Derivière, mais toutes les musiques que je voulais citer n’étaient pas disponibles librement. Cet article est aussi expérimental que son thème ; il m’arrive en effet de nombreuses fois d’écrire avec de la musique en fond, si bien que l’écrit devient automatique et absolument incontrôlée. Pas qu’il soit incontrôlable, juste que je ne vois pas l’intérêt de contrôler l’écriture, parce que je pense que le flot d’idées est parfois plus efficace que la réflexion. Ici, je vais vous parler des musiques qui font passer le mieux ce flow au travers d’une série de musiques diverses, venues de très loin ou de très près. D’où que soit leur provenance d’origine, elles sont bien liées au jeu vidéo.
Je ne suis pas un grand convaincu du mouvement surréaliste en règle générale, mais si je dois les remercier d’une chose, c’est d’avoir mis des mots sur le concept de « l’écriture automatique » , cet état semi-conscient où l’on se met à écrire sans sujet prédéfini, sans retenue, sans intention, sans jamais se relire avant d’avoir terminé ce que l’on a commencé. Ce concept, aussi obscur qu’il puisse paraître lorsqu’on l’explique à une personne qui n’y est pas initié, est en fait hautement logique quand on est quelqu’un qui écrit énormément. Quand j’écris un article très long, et que je sens que quelque chose manque, il m’arrive de gratter sans vrais idées prédéfinies, de même quand j’écris pour moi. Et quand cela arrive, je n’ai aucun souvenir de ce que j’ai écrit, et à la relecture, j’en suis surpris.
Ce processus que l’on pourrait lier à la lassitude, ou même la fatigue d’une écriture réfléchie et consciente, amène parfois de véritable fulgurances dans un texte qui paraît de prime abord sans queue ni tête. Car, écrire sans contrôle ne veut pas dire écrire pour ne rien dire. En réalité, on n’est jamais plus proche de l’idée que l’on peut avoir de soi que lorsque l’on écrit automatiquement. C’est un processus bref et assez violent mentalement, qui consiste à vider son esprit le plus possible et à produire le plus rapidement une série de mots qui forment rarement des phrases grammaticalement correctes, à l’orthographe plus que perfectible, (voyez, c’est moi !) et dans cet amas de mots, on trouve des propositions parmi les plus belles que l’on ait écrit.
Le rapport avec le jeu vidéo ? Le flow. Cet état semi-conscient dans un jeu où l’on est meilleur que jamais, et où l’on est capable de bien plus que d’habitude. Il y a moyen dans les bons jeux (… et uniquement dans ceux-ci) d’atteindre ce stade, et la musique peut y aider. C’est la même chose dans l’écriture. Je connais un certain nombre de musiques qui simplifient l’écriture automatique. Des musiques qui, naturellement, vident l’esprit. Peut-être elles-mêmes nées du processus d’écriture automatique. Quoi qu’il en soit, en voici quelques exemples :
Sam Houghton : The Turing Test – Waking up
Sam Houghton délivre ici une musique très répétitive, très épurée, très abstraite aussi. On ne sort pas de thème facilement réutilisable pour une version plus étendue. C’est une boucle de quatre notes qui dure extrêmement longtemps et se répète presque inlassablement à une vitesse très rapide. Elle laisse place à un second temps plus aérien, avec un chant et un air de piano plus long mais tout aussi répétitif, qui cède finalement la place à la première boucle, concluant presque le morceau en se mariant à la seconde boucle. C’est une très très simple composition, compréhensible pour n’importe qui, même pour les non-initiés à la musique, et c’est l’une des meilleures musiques que j’ai trouvé pour écrire. Vous connaissez désormais l’un de mes principaux outils de travail !
Petri Alanko : Quantum Break – Campus
Choix étrange, et nom tout aussi surprenant pour une piste très simple ici aussi, qui a cette étrange capacité de me remémorer énormément de passages de ma vie, voire des choses que j’ai l’impression d’avoir vécu sans pouvoir les situer dans aucun contexte. Une musique étrange et onirique qui créait de nombreuses réminiscences en moi. C’est une très précieuse musique pour mon écriture personnelle. Elle m’emmène dans un état assez étrange qui me permet de dépasser le cadre habituel de mes écrits, et me fait explorer d’autres thèmes que je n’ai pas l’habitude d’explorer : le regret, la nostalgie, le doute de la véracité de nos souvenirs… C’est vraiment une musique qui me procure un effet incroyable, et je ne sais pas si c’est la même chose pour d’autres personnes, mais écrire avec cette musique en fond reste une expérience que je recommande.
Sylvain Prunier : Mars War Logs – End Theme
S’il doit rester quelque chose de la bande son de Mars War Logs, à part son Main Theme et la musique du combat final, c’est cette musique de fin extrêmement iconique. J’ai même fini par me dire que le son, très aérien, utilisé dans la musique est le gimmick musical des jeux se déroulant dans l’univers de Mars par Spiders (… même Technomancer s’en sert à un moment !). C’est une musique très apaisante, mais aussi étrangement stimulante, qui fait bien l’affaire quand je veux écrire automatiquement. Je vous la conseille aussi vivement, bien qu’elle ait légèrement tendance à orienter l’écriture, mais pas de manière significative au point d’altérer le processus.
(Regretté) Kirill Pokrovsky : Divinity 2 Ego Draconis – Reborn
Je n’ai pas su écrire sur Divinity Original Sin parce qu’un boss m’en a empêché, mais je saurais écrire sur The Dragon Knight Saga un jour. Si monsieur Kirill avait une patte bien particulière et une manière de traiter une série Divinity qui avait un certain cachet, peu de musiques du monsieur se prêtent vraiment à l’illustration de l’univers du studio Larian. Reborn est sans doute la musique la plus à propos du compositeur vis-à-vis du jeu traité. Elle est très inquiétante et très planante. Elle est nécessairement efficace lorsqu’il s’agit de viser à écrire quelque chose de dérangeant. Lorsque j’ai à le faire, j’utilise cette musique tout particulièrement pour sa force évocatrice. Un beau morceau, mais dont je déconseille l’écoute détente, car personnellement, cette musique m’oppresse.
Kelly Bailey : Half Life 2 – Triage at dawn / Path of Borealis Remix by DJ Dain
On est pas loin du jeu « parfait » avec Half Life 2. C’est bien simple : je n’ai pas vu quelqu’un réussir à ne pas au moins respecter ce titre. Il est vrai que Valve est assez maître dans son domaine, c’est à dire le vrai shooter narratif qui ne se prend pas pour un film, ni pour un enchaînement d’arènes avec des mecs à tuer. Valve a réussi à donner des lettres de noblesse à ce genre en incorporant un moteur physique très performant, un univers surprenant, et des mécaniques de jeux variées, qui font que le voyage offert par leur titre est tout bonnement unique. On est pas dans l’école du gameplay ou de la narration pure ici ; Valve concilie les deux avec grand sourire, comme si cela était d’un naturel qui ne ferait pas débat. Mais nous ne sommes pas là pour dire tout le bien que j’en pense ou ce qu’il faut penser de Half Life 2 (… le troisième hypothétique opus n’étant guère nécessaire), car nous parlons ici d’une musique. Un remix habilement mené par DJ Rain de l’original Triage at Dawn de monsieur Kelly Bailey. Une bien belle piste qui nous emmène assez loin. Très à propos lorsqu’il s’agit d’écrire une nouvelle fois ; l’essayer, c’est l’adopter comme dirait mon poissonnier.
Neil Davidge : Halo 4 – Haven
On rétabli une nouvelle fois la vérité sur Loutrage, à tous les individus équipés d’œillères : Neil Davidge fait un aussi beau travail que Martin O’Donnell. Vous êtes juste complètement hypnotisé par votre nostalgie. Neil Davidge a eu le courage et les couilles de reprendre le flambeau en changeant du tout au tout la direction artistique musicale de la série, en lui donnant des sonorités plus aériennes, moins épiques (… quoique), plus élégantes même. Il est l’un des rares compositeurs qui a réussi à m’aider à écrire avec une musique qui n’établit pas une boucle, mais une progression classique. Il a un vrai don pour faire évoluer ses musiques qui s’apparentent à des histoires sonores très illustratives. Neil Davidge a beaucoup aidé la narration de Halo 4 en lui donnant une portée encore plus significative que dans les anciens opus. Si je dois vous conseiller cette musique, je vous conseille aussi tout le reste de la bande sonore. Parce que c’est rare que je le dise mais : toute la bande-son est homogène en termes de qualité. Donc, écrivez avec ça en fond, ça marche très bien.
Gareth Coker : Ori And The Blind Forest – The Blinded Forest
Mélancolie, quand tu nous tiens. Je me plais à dire que c’est l’annonce de Scalebound qui m’a fait considérer l’acquisition future d’une Xbox One, mais c’est la sortie d’Ori And The Blind Forest qui m’a fait prendre la machine. Que de beaux souvenirs sur un titre réalisé par quatre personnes. De plus, il est doté d’une des OST les plus remarquables de l’année 2015, bien que MGS V ait raflé la mise encore une fois sur ce plan. Cette musique est certainement la moins mémorable en jeu, mais c’est pourtant celle qui est la plus à même de faire comprendre et ressentir l’atmosphère d’Ori And The Blind Forest, sans forcer l’auditeur à jouer au titre (… pourtant il doit le faire. Faites-le, bordel !). Cette musique porte presque le sous-titre du jeu en guise de nom, et se pose comme un thème principal bis, illustrant avec perfection la mélancolie que dégage le titre, mais aussi la poésie et la beauté tout simplement. Ori, c’est un grand jeu, oui, mais c’est aussi un chef d’œuvre d’esthétisme que Ghibli n’aurait eu aucune honte à signer. Je n’ai rien à ajouter sinon : écoutez la soundtrack d’Ori pour écrire, jouez à Ori pour vous inspirer.
Takeshi Furukawa : The Last Guardian – Main Theme
Lecteur, si tu as une PS4, un petit message entre nous : tu n’as strictement pas le droit de ne pas acheter The Last Guardian. Tu m’as bien compris ? Je rage depuis un an et neuf mois de ne pas pouvoir jouer à Bloodborne, et désormais, je rage depuis quelques jours à peine d’avoir en plus avoir à supporter l’impossibilité de jouer au dernier jeu d’Ueda, maître des arlésiennes ! Mes amis, ce main theme, c’est l’aventure et l’esthétique à l’état pur, c’est terriblement classique mais tellement efficace et grandiloquent pour un jeu qui parie autant sur son intimisme. C’est aussi une belle musique pour se mettre en condition afin d’écrire un texte inspirant. Je ne regretterai pas mon choix d’avoir pris en priorité une Xbox One sur cette génération, mais il est temps de songer à la PS4 alors que Ni Oh, Nier Automata, Horizon Zero Dawn et d’autres approchent. Merci Sony d’avoir donné sa chance à The Last Guardian de sortir enfin. Rien que pour ça, vous remontez dans mon estime.
Ryan Amon : Bloodborne – Omen
Imaginez vous que j’écoute la bande-son de Bloodborne depuis plus d’un an et demi comme un forcené. Les musiques entretiennent un fantasme, et Dark Souls 3 n’a fait que préciser mon pressentiment : il nous faut nous rencontrer, lui et moi, à l’occasion d’une soirée froide. Une rencontre qui se soldera par la défaite de l’exclusivité PS4, après de longs mois de torture, à attendre de pouvoir être maltraité par le jeu, dans un échange violent et le moins bref possible. Je me vois déjà pourfendre et être pourfendu par les horreurs que Bloodborne me proposera. Omen, c’est une musique sobre, classique, d’une durée plutôt brève, mais qui donne un bel aperçu de l’atmosphère d’un jeu auquel je n’ai pas joué. Ryan Amon dépeint ici un monde glauque, dont l’horreur est la religion et la douleur sa litanie. Une belle musique pour écrire l’horreur, car il en faut parfois pour esquisser un monde.
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