La course à la technique sur console
Vous l’avez surement remarqué, plus que jamais, la technique – et plus exactement le framerate, ainsi que le nombre de pixels affichés à l’écran – obsède l’industrie. Bien évidemment, les joueurs suivent ce cheval de bataille avec le sourire, arguant avec fierté qu’ils possèdent la superior version, notamment en achetant leurs jeux sur PS4 plutôt que sur la Xbox One. Si la supériorité technique de la machine de Sony est avérée, il faut bien avouer que les différences à l’écran ne sont pas bien flagrantes. Les deux machines se partagent également quasiment le même catalogue. Symptôme évident de la future disparition des exclusivités, c’est aussi le symptôme d’une industrie qui se porte très mal ; elle ne prend finalement plus en compte ce qui est important dans le média, à savoir la jouabilité. Je vais essayer de vous convaincre que cette course à la technique est stupide, et s’avère même toxique.
Le paradoxe de la console devant être « puissante »
Une console de salon, du moins pour le moment, possède un hardware fixe. Suffisamment puissant à ses débuts afin de tenir un certain nombre d’années avant de céder la place, si le destin lui a été favorable, à une successeuse. Bien évidemment la machine récemment sortie se doit d’avoir un ou plusieurs titres phares à son lancement, et devant être de véritables vitrines technologiques. La Xbox One a eu le somptueux Ryse : Son of Rome, la PS4 le magnifique Killzone : Shadow Fall et la Wii a eu Wii Sport. Cette dernière console ayant tout de même eu l’intelligence de mettre en avant une nouvelle manière de jouer, au lieu de simplement offrir un jeu plus beau.
Mais, le temps passe et les claques techniques finissent par ne devenir qu’un souvenir embelli, alors que les jeux popcorn sans réelles idées cèdent la place à d’autres jeux popcorn légèrement plus jolis à chaque fois. On pousse à bout des machines dépassées afin de proposer toujours plus fin, au détriment des créatifs muselés qui ne peuvent faire autre chose que créer des jeux plus beaux. Tout cela afin de satisfaire la rétine des joueurs occasionnels pour qui le moindre nouveau blockbuster est révolutionnaire, alors qu’il emprunte toutes ses idées à d’autres titres avant lui.
Le joueur assidu, qui lui a l’œil, voit bien vite à quel point tout se ressemble, et tout n’est finalement là que pour faire dans la surenchère esthétique et non fonctionnelle. Si bien que le framerate tant défendu par les communicants, voit fréquemment son nombre divisé par deux au fil du développement des jeux, au profit de plus jolies images. En témoigne Assassin’s Creed : Unity, Uncharted 4, Gears Of War 4, et bien d’autres après eux.
Parce que oui, faire des jeux jolis et comparables au rendu des ordinateurs haut de gamme sur console de salon, c’est possible, mais les concessions qui doivent accompagner ce choix stupide sont démentiels. Pour ainsi dire, depuis la sixième génération de console, il est très difficile d’être catégorique lorsque l’on dit que les intelligences artificielles ont gagné en performance, que les systèmes de jeux sont plus aboutis et complexes, ou même que les genres ont été bousculés d’une quelconque manière par des titres désormais cultes. Si l’on se souviendra toujours de la septième génération de console, et les très endurantes PS3 et Xbox 360 alignant les bons titres, on est plus septique quand on voit ce que donne les consoles de dernière génération.
Pour tout dire, nous n’avons pas eu le droit à un seul titre changeant considérablement la manière d’aborder un genre. A peine pourra t-on dire que la verticalité dans la conception des mondes à laquelle a largement contribué Assassin’s Creed en 2007 se retrouve désormais dans la plupart des blockbusters. Désolé mon petit Titanfall, mais ta révolution, c’est juste davantage de liberté dans les mouvements de l’infanterie, et des gros robots pour contraster avec ta nervosité. Pardon Destiny, mais tu n’es jamais que l’enfant pauvre de Borderlands, avec un feeling voulant se rapprocher de Halo, sans en capter toute la maîtrise. Evolve… Tu es qui toi déjà ?
Comprenez donc : vouloir des jeux à la pointe sur toute une génération de console, c’est au moins aussi stupide que d’espérer de la créativité dans un jeu annualisé, ou penser que les éditeurs pensent d’abord à faire des bons jeux avant de se poser la question de comment le vendre au mieux. Pour un matériel grand-public comme la console, n’espérez pas avoir les plus beaux jeux. Espérez simplement jouer à des titres visuellement convenables, mais surtout jouables et, dans les meilleurs cas, à la pointe ludique du média. Demon’s Souls, Shadow of the Colossus, Dragon Age : Origins, Mass Effect, et bien d’autres ont-ils eu besoin du 1080p et du 60 fps pour être de grands jeux ?
Le visuel plus facile à marketer
Mais tout ceci, cette passion des chiffres et cet acharnement à vouloir donner du toujours plus beau, est un véritable pain béni pour les éditeurs et constructeurs. Bien facile est-il de montrer de belles images et de belles bandes-annonces truquées (Watch Dogs, Uncharted 4, The Division, Quantum Break…) mais faire jouer les joueurs et les journalistes à votre futur titre, c’est déjà plus compliqué, en témoigne le scandale de Rime, jeu exclusif à la PS4 qui avait émerveillé tout le monde avec une bande annonce… avant que l’on apprenne il y a peu qu’à cette époque, le jeu n’était même pas jouable.
Chose d’autant plus amusante… ou effrayante à vous de voir quand on a bien voulu nous faire croire fin 2015 que le jeu était prêt. Sony ayant été visiblement dupé par les développeurs, je veux bien croire en l’ignorance du constructeur sur l’état réel du projet, mais quand même, lorsqu’on soutient financièrement un titre, mieux vaut savoir si au moins il existe, non ? Donc, vous comprendrez bien évidemment qu’il est aisé de faire mentir un visuel, mais difficile de faire mentir la jouabilité une fois le jeu en main.
On pourra s’amuser à dire que The Order est au mieux un jeu médiocre, au pire un film de 5 heures avec deux heures de jeux de tirs mollassonnes, Ryse un beat’em all qui redéfinie la répétitivité sur seulement six heures de jeu, et Watch Dogs une grosse merde de GTA-like bugué jusqu’à la moelle et dont le simple concept de fun semble s’être désappris de force à la naissance. Mais tous ces jeux ont fait le buzz avec ce visuel promis et absent dans un cas (l’affreux Watch Daube) et ont fait bien plus de ventes que s’ils avaient clairement présenté leurs qualités ludiques bien souvent complètement absentes.
Se soigner de l’obsession technique
Votre serviteur ici présent est aussi atteint de cette maladie transmise par le service marketing de toutes les boîtes de cette industrie. J’admets être curieux avec la technique ; je connais surement les spécificités techniques des jeux que je possède, et il m’arrive fréquemment de regarder des framerate tests, afin de savoir si les jeux sont fluides lorsqu’ils sont disponibles. Je ne m’en cache pas : j’ai été victime de cette maladie à cause des constructeurs qui ont immiscé cette idée dans ma tête.
Cependant, je n’y accorde pas vraiment d’importance dans les faits, parce que je joue fréquemment à des titres plus anciens – et donc aujourd’hui visuellement datés. J’arrive à un point où je me demande si on a vraiment besoin d’aller au-dessus du visuel d’un The Witcher 3. A-t-on besoin de battre la beauté d’un The Last of Us ? Besoin de surpasser un Ryse ? Non, on est arrivé à un point où tout est tellement fin, détaillé, artistiquement inspiré, que le défaut visuel, comme on pouvait le souligner auparavant, n’est qu’un souvenir.
Je dirais même plus : tous les jeux de la septième génération, et donc du début de la haute définition, pouvaient prétendre à un visuel décent. On en a fini depuis longtemps avec les bouillies de pixels (… mettons les indépendants à part), et désormais, au lieu de courir après un photo-réalisme de toute façon inatteignable, peut-être serait-il temps de se pencher sur ce qui a rendu Mario immortel, Sonic renversant, Zelda fabuleux, Halo merveilleux, Shadow of the Colossus divin, Metal Gear Solid V: The Phantom Pain génial ?
J’ai envie d’éprouver ce que j’ai parfois ressenti en jouant à des titres, avec l’impression d’être en face de quelqu’un, et de quelqu’un d’unique. Une personne avec un passé, un présent, un avenir, qui me parle, qui interagit, qui m’apprend des choses sur elle, qui m’amuse, me fait réfléchir, et me fait reconsidérer ce que je pense immuable. J’ai envie de jouer à des jeux ambitieux qui me feront voyager, pas froid et déjà joué comme peuvent l’être des The Division, des Wasteland 2, des Assassin’s Creed Syndicate, des Destiny, ou tout autre titre n’apportant rien avec lui de plus que ses prédécesseurs.
Je veux du neuf, et je veux que l’on arrête d’essayer de me faire croire que ma One est une console surpuissante. Je sais que ce n’est pas le cas, mais je sais aussi qu’elle a eu le nécessaire pour faire tourner The Witcher 3, Metal Gear Solid V, Ori and the Blind Forest, Forza Horizon 2 et Halo 5. Ai-je besoin de plus ? J’irai même plus loin en affirmant que cette obsession du visuel n’est que le reflet d’une société de consommation de masse nécessairement éphémère. Quoi de plus éphémère que la beauté d’un Tetris et quoi de plus éternel que la perfection de sa jouabilité ? Oubliez le visuel clinquant, concentrez-vous sur l’essence du jeu vidéo : le jeu.
C’est la fin de ce petit coup de gueule qui avait pour but de vous expliquer pourquoi, désormais, lorsqu’un jeu ne jure pas sur son visuel, je me sens plus en confiance avec lui. Loin d’être en train de vous affirmer que l’habillage est sans importance ; je voulais simplement rappeler qu’il n’est pas le but que doit atteindre un jeu, mais bien l’un des moyens qu’il a pour y parvenir. Et il est peut-être temps pour l’industrie, comme pour les joueurs, qui la font tourner de prendre conscience du mal que cette course a causé, cause et causera, si un miracle comme Dark Souls ne vient pas remettre en cause ce sprint vers le mur. Je vous laisse sur cette citation inventée de toute pièce « J’ai écouté des gens m’évoquer la fantastique beauté de Final Fantasy VII. Ce qu’ils ne m’ont pas dit, c’est que ça date de 19 piges.«
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A propos de l'auteur : Marcheur
5 Commentaires sur “La course à la technique sur console”
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Pour moi c’est juste un concours de bite, surtout à la vue des messages de certains sur le net, à coup de nombre de fps ou de framerate, limite si les mecs sont pas foutu de compter le nombre de poils sur le chien de Fallout 4 pour savoir laquelle des console est la plus puissante. Des fois je me demande si à la tête de certains sites spécialisés, et même de certaine sociétés de ce milieu (certains boss de studio, des communicants pour l’une ou l’autre des machines, etc), on a pas des écoliers en fait, car tout ça, ça ressemble quand même au concours de celui qui pisse le plus loin qu’on a tous (enfin pour vous mesdames c’est plus compliqué ^^) connu étant gamin.
Le problème c’est que ce concours de bite a coûté beaucoup à la seule concurrence de Sony sur cette génération, et on voit le résultat désormais, des exclus qui tardent à arriver, un Sony suffisant et un Microsoft qui tarde à essayer de séduire un autre public que ses fans qu’il chouchoute avec amour cela dit ^^
Bref, j’espère que cette course se terminera par une remise en question des joueurs qui achèteront les consoles pour leurs exclus et non pour leur « surpuissance » par rapport à la concurrence. Même si j’ai quand même envie de chopper la PS4 pour son avenir qui promet, même si on connaît les promesses de Sony…
Tout d’abord, je précise que je ne joue que sur PC (mais je m’intéresse quand même de loin aux consoles)
Et si je joue principalement aux jeux indé, j’aime aussi un certain nombre de AAA superbe.
Je ne partage pas vraiment l’avis de cette chronique. D’une part, j’aime bien Watch_Dogs, qui bien que bien moins joli que ses trailer est amusant à jouer, pour Uncharted 4, Gamekult l’ayant testé (son gameplay pas son pas le trailer) confirme la qualité du jeu (tant graphisme que le reste) contrairement à ce qui est sous entendu ici.
Et que dire de « l’intelligence » de Nintendo avec la WiiU. Maaaais bien sur ils ont été tellement intelligent qu’ils ont décidé d’avoir des ventes ridicule peut être ? tu peux penser que la WiiU est un super concept, mais saches que ce n’est pas un avis partagé ni par moi ni la majorité.
Mon avis se rejoint sur ce point précis : Les graphismes seulement ? Je dit non (The Order est bien un jeu qui ne me manquera jamais sur PC) mais ne pas s’adapter à la technologie de notre époque c’est mourir.
Si Leonardo Da Vinci avait peint la Joconde au XIXème siècle (par exemple) on aurait trouvé que ce peintre manquait de talent, de structure, de relief, mais si l’on prend la peinture sur son époque on voit un peintre largement en avance sur son temps (mais bien en retard sur les techniques développés plus tard)
J’ai quelques exemples de bon jeux AAA sur cette génération qui bien que non révolutionnaire sont amusant à jouer (selon moi) ce qui est le principal. Par exemple Arkham Knight ou encore The Division sont selon moi des réussites.
Pour finir, il faut laisser le temps au temps, il est classique qu’une nouvelle génération de console amène en début de parcours des jeux s’attachant plus à la technique qu’au gameplay, le temps d’apprivoiser les bestiaux.
j’oubliais de citer le très bon The Witcher III qui exploite bien les capacités de la nouvelle génération de console tout en restant un excellent jeu (bien meilleur que les précédents selon moi) ce qui prouve que de meilleur graphisme ne veut pas forcement dire moins bon gameplay.
Pour Watch Dogs, je trouve ce jeu infâme ludiquement parlant, les déplacements lourds, les gunfight sans génie, l’infiltration sans IA, la conduite aberrante… Pour Uncharted 4, je ne doute pas que le titre soit beau (c’est un peu le principal intérêt de la saga) mais toujours est-il que le trailer de 2013 montrant une séquence cinématique sensée être « in game » en « 1080p/60 FPS » était un magnifique mensonge marketting et le jeu final est extrêmement loin de ce niveau technique.
Je ne parle pas de la Wii-U, je parle de la Wii première du nom, et je ne défends pas forcément cette machine même si elle aligne quelques perles, tout comme sa successeuse qui en aligne moins mais tout de même.
Après, j’ai un degré d’exigeance assez haut concernant cette nouvelle génération qui est sensé s’affranchir des contraintes techniques et repousser l’interactivité dans les limites qu’on lui connaissait. Je n’aime pas Batman Arkham Knight car je n’aime pas la série des Arkham et celui-ci apporte quelque chose de mal dosé avec la batmobile (visiblement, je ne fais que rapporter les critiques) The Division me sort par contre véritablement par les trous de nez, un sous gears of war avec des mécanismes d’évolutions calqués sur Destiny lui même largement inspiré d’Halo et Borderlands: je n’en veux pas.
Pour ce qui est de laisser le temps au temps: certes. Mais pour le moment la claque en termes de jouabilité sur cette génération n’existe pas d’aucun côté que ce soit. Les formules s’enrichissent, se développent mais sont dans la redite aussi, la créativité est à un niveau dangereusement bas tout comme les nouvelles IP se raréfient. Je ne dis pas que cette génération est mauvaise mais elle a un départ peu engageant (surtout quand on considère la venue de nouvelles machines plus puissantes d’ici peu). Malgré tout, rendons à Caesar ce qui lui appartient, de grands jeux existent: Bloodborne, Ori, Metal Gear Solid V: The Phantom Pain, The Witcher 3 et je l’espère, d’autres à l’avenir.
Mais malgré les nuances, et au regard de ce que l’avenir nous prépare, je signe: la course à la technique qui est en train d’avoir lieu avec les nouveaux modèles en « rumeur » (plus vraiment des rumeurs vu que l’on sait les machines existantes) on est loin de se dire que les machines seront un jour maîtrisées afin de livrer leur plein potentiel pour proposer autre chose que du visuel +. J’espère que cette situation connaîtra un revirement et qu’un titre parmi la masse saura renouer le succès et la créativité ensemble pour que l’on connaisse une vague de titre qui pourront nous faire dire « à la huitième génération de console, il y a eu ces titres qui ont changé des choses ». Mais peut-être est-ce trop demander à des créatifs que de créer et non perdurer des formules qui fonctionnent mais qui s’essoufflent selon moi. Sans doute suis-je trop exigeant, mais j’aime à croire que c’est cette exigence qui a permis aux jeux vidéo d’évoluer.