Firewatch
J’ai toujours été intrigué par un tag bien particulier sur Steam : les simulateurs de marche. Pour tout vous dire, je me suis toujours demandé comment ce genre de jeux pouvait proliférer sur cette plateforme. Annoncé ainsi, on se demande quel peut bien être l’enjeu d’une œuvre tel que Firewatch, où au lieu de me balader physiquement au bord de la Marne, on me propose d’aller me promener dans la nature sauvage du Wyoming, les agressions de moustiques et les calories brûlées en moins. Alors, loutre curieuse que je suis, je me suis penché sur ce titre, afin de vérifier qu’il en était bien un. Verdict ? C’est ce que nous allons voir ensemble. C’est parti !
Chose inhabituelle, la page de présentation du jeu sur Steam consacre la moitié de la description à une crise aiguë de naming. On y apprend que la team des californiens de Campo Santo n’est pas née de la dernière pluie ; de Telltale à Double Fine Productions, en passant par Klei Entertainment ainsi que d’autres studios, les gars (… et les nanas) ont apparemment de la bouteille, et qu’ils ne vont pas nous bullshiter. Pourtant, cette pratique est à double-tranchant, car à citer tous les jeux à succès sur lesquels leurs membres ont bossé, la barre d’exigence du joueur que je suis se relève de quelques crans.
Quoi qu’il en soit, dans Firewatch, on se retrouve dans la peau d’un être légèrement dépressif sur les bords, petit et trapu, Henry. Il est en pleine fuite en avant, car la femme avec qui il filait le grand amour, s’est retrouvée atteinte de la maladie d’Alzheimer à un âge relativement jeune. Après un enchaînement d’événements, il s’avère que les parents de sa femme ont décidé de s’en occuper à sa place, loin de lui, en Australie. Sa solution, qui n’en est pas vraiment une, est d’accepter un job de garde-forestier dans l’état du Wyoming, endroit déconnecté de l’activité humaine s’il en est. Laissant sa vie et ses problèmes là où ils sont, il se retrouve au sommet d’une montagne à surveiller les départs de feu, et à protéger ce grand espace naturel contre ces connards de jeunes randonneurs irrespectueux.
Arrivé sur place, on est accueilli, via un talkie-walkie, par notre boss, Delilah. Cette dernière occupe un poste de garde sis au sommet d’une autre montagne, et elle est, pour ainsi dire, notre seul contact avec l’extérieur. Passé la première nuit, on se réveille le lendemain avec une réelle impression d’isolement, tant physique que mentale. En effet, au fur et à mesure que l’on explore les environs de notre tour de garde, on est en mesure d’avertir Delilah par radio de tout ce à quoi nous sommes confrontés. Elle représente une sorte de bouée de sauvetage psychologique. Cette relation est d’ailleurs tissée de manière dynamique ; nous aurons parfois différents choix de réponse dans les dialogues, le silence étant également possiblement valide.
D’un naturel énergique, elle va rythmer notre progression en lâchant quelques sarcasmes gentillets qui nous mettront à l’aise. Ces dialogues sont d’ailleurs étonnamment bien construits ; nos deux protagonistes étant des adultes matures et responsables, leurs échanges ne tombent pas dans l’écueil du mélodrame à deux balles. Delilah ayant une psyché tout ce qu’il y a de plus humaine, elle peut parfois prendre la mouche en fonction de nos réponses. Elle fera alors la gueule, ce qui se traduit concrètement par un silence radio. Alors que l’on commençait à prendre l’habitude de lui parler, le sentiment d’isolement est donc temporairement renforcé par ses non-réponses. Histoire d’ajouter du piment à l’histoire, au-delà de cette relation ambiguë, une autre intrigue est mise en place : la disparition d’un garde-forestier et son fils quelques années auparavant.
L’exploration se fait en vue FPS, parsemée de mouvements awareness, ce qui renforce pour beaucoup l’immersion. D’autant plus que l’on se prend une vrai claque graphique ; en fonction de l’heure de la journée, l’éclairage change, et les environnements prennent une toute autre dimension. La palette de couleurs est sacrément bien exploitée, allant des différentes tonalités de verdure de la forêt, aux rouges et ambres du soleil crépusculaire s’écrasant sur les parois rocheuses, en passant par les ors de la matinée. Que ce soit les ravins et falaises, les arbres et rivières, tout y est convaincant et donne une étonnante impression de liberté au joueur.
Afin de pouvoir vous orienter dans ce vaste domaine, nous aurons à notre disposition une carte et une boussole. Une carte qui sera d’ailleurs agrémentée d’annotations en fonction des lieux visités et des trajets répertoriés par les autres gardes-forestier. Pour un type comme moi qui n’a absolument pas le sens de l’orientation, et qui est capable de se perdre dans son propre quartier, cela m’a valu quelques phases d’égarement total, à tourner en rond pendant un bon quart d’heure. Malgré tout, on ressent le cloisonnement parfois artificiel de certaines zones, où certains passages sont coupés par des murs invisibles. Par exemple, n’imaginez pas pouvoir vous casser la gueule par inadvertance en tombant d’un haut d’un ravin, puisque cela ne sera pas permis. On voit immédiatement que les développeurs veulent nous faire emprunter tel ou tel chemin afin de déclencher l’exécution des scripts du scénario, sans que la mort ne puisse venir nous perturber. Soit.
Régulièrement, au cours de notre progression, nous aurons la possibilité d’effectuer quelques actions qui ont un peu de sens au niveau de l’histoire et son contexte, mais qui auraient très bien pu être remplacées par des cinématiques, tellement ces mécaniques de gameplay n’apportent rien en soi. Concrètement, à un moment, on se retrouve en possession d’un appareil photo, et on nous demande d’accumuler des preuves. On s’exécute, mais l’intérêt de l’utilisation de cet appareil n’est que le déclenchement d’un autre script qui va relancer l’histoire sur ses rails. Il est possible de prendre d’autres photos sans que cela n’apporte quoi que ce soit. Et le jeu est littéralement parsemé de ces petits ajouts inutiles qui ne font que partie d’un emballage.
Les loutres ayant des accointances avec les écureuils, je m’étais amusé un moment à récolter divers objets afin de les ramener dans ma tour de garde. Pas de bol, après d’incessants allers-retours, lorsque survenait la nuit et que je devais dormir, la tour avait alors été soigneusement nettoyée de tous mes trésors de guerre le matin venu ; des livres, trouvés dans des caches de garde-forestiers, et consciencieusement ramenés pour alimenter ma maigre bibliothèque de reclus ? Disparus dès le lendemain. Notre avatar a probablement dû se dire qu’il s’agissait d’un pamphlet insipide à foutre au feu, ou à servir de papelard de secours en cas restrictions sur les rouleaux de PQ.
Et l’on retrouve ces limitations sur tout un tas d’objets, que l’on récolte en pensant qu’il pourrait y avoir une quelconque utilité, ou bien que cela amènera des incidences sur le gameplay. Que nenni. Vraiment dommage. J’ai trouvé à un moment une tortue qui bronzait peinard sur une roche au soleil. En humain possessif et détestable de base, après l’avoir affublé d’un nom plus ou moins ridicule, j’ai adopté à son insu cette mignonne petite créature. On pourrait se dire : « Chouette, un nouvel ami avec qui interagir ! » Raté. Une fois nommée et récupérée, on range la bestiole dans le sac-à-dos (sic !), et basta. Une bouteille de whisky confisquée à des crétins ? Rangée soigneusement telle une prise de guerre, et la boire ne sert à rien. J’aurais pourtant bien aimé pouvoir me bourrer la gueule, seul au milieu de la forêt, à gueuler comme un sauvage, tout en essayant de sympathiser avec un raton-laveur. Bin non.
Avec tout cela, alors que Firewatch se pare des atours d’impression de liberté, clairement ressentie en début de partie, le tout retombe comme un soufflet tellement ce ressenti en prend en sérieux coup ; le joueur que je suis s’est alors contenté de faire ce qui était pourtant induis dans le tag Simulateur de marche. J’ai donc marché, et marché, tandis que l’immersion qui prédominait au commencement, se muait progressivement en ennui par le biais d’une histoire sur rail sympathique, mais pas exceptionnelle. Pourtant, l’immersion est grandement sublimée par l’ambiance sonore du jeu, sans que cela ne suffise pour le rendre, à mes yeux, mémorable, ni même réellement fun.
Pour rebondir sur un récent dossier de Marcheur (narration VS ludisme), voici un exemple flagrant d’un jeu qui a oublié qu’il en était un. Même s’il est techniquement très bien réalisé, en matière de gameplay, on se retrouve avec un ensemble un peu trop minimaliste à mon goût, où l’impression de liberté n’a pas fait illusion bien longtemps. Il y a pourtant de bons mécanismes narratif, notamment avec les échanges entre nos deux quadragénaires, mais j’ai été progressivement détaché du wagon par le manque réel d’enjeux. Sur ce, j’éteins mon PC, et je pars marcher au bord de la Marne ; même si j’ai nettement plus de probabilités de tomber sur un ragondin qu’un raton-laveur, cela sera nettement plus vivifiant (… et gratuit !).
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